Sa Sainteté enseigne sur « Vivre le Dharma »
(Du 13 au 15 janvier 2009, au Monastère Tergar, à Bodhgaya)
Jour 2
Le Gyalwang Karmapa a consacré une partie de la matinée à exposer sa préoccupation pour l’environnement. Plusieurs participants s’étaient d’ailleurs procurés le manuel sur les « Conseils environnementaux pour les Monastères, les Centres et les Communautés Bouddhistes Karma Kagyu ».
Il a parlé de la nécéssité de préserver les forêts, du danger que représente la fonte des glaciers de la région himalayenne, de la pollution des rivières, de la protection des animaux que l’on chasse pour leur fourrure, de la nécéssité d’être végétarien ou réduire au moins la quantité de viande que nous mangeons, ainsi que les changements climatiques dramatiques. Étant donné que les monastères n’ont pas une culture de gestion des déchets, il a affirmé son intention de leur procurer une formation dans ce sens, dans l’espoir qu’ils pourront devenir des exemples pour la communauté. Si nous nous engageons véritablement à travailler pour le bien-être des êtres, nous avons la responsabilité de protéger l’environnement, et la myriade d’êtres qui l’habitent.
Une période de questions-réponses a suivi :
Au cours de cette session, le Gyalwang Karmapa à expliqué plus longuement la manière de combattre les émotions conflictuelles. Il a expliqué comment le Dharma élimine les impuretés de l’esprit; il n’y a rien dans le Dharma qui ne soit un antidote direct aux émotions négatives. Différentes pratiques agissent sur différents poisons mentaux ; il y a en fait de nombreuses pratiques et méthodes pour chaque pratiquant selon leur capacité et niveau.
En général, les débutants ont tendance à vouloir éviter la confrontation avec les poisons de leur esprit. Alors, la chose à faire est de les mettre au défi. Ensuite, lorsque le pratiquant devient plus aguerri, il est approprié d’utiliser des moyens habiles.
Sa Sainteté a ensuite donné une réponse plus élaborée sur la question de l’attachement.
L’empreinte de l’attachement est ce sentiment comme : « Je dois l’avoir » et : « Personne d’autre ne doit l’avoir » ; voilà comment l’attachement crée de la souffrance. Sa Sainteté a donné l’exemple d’un couple qui s’aime. Lorsque l’épouse voit son mari parler à une belle femme, que pense-t-elle ? C’est cela l’attachement. Parce qu’il est centré sur des émotions telles que : « C’est à moi », l’attachement est fermé et limite la liberté. L’amour authentique signifie vouloir le bonheur des autres, vouloir que la personne que nous aimons obtienne ce qu’elle désire. Bien sûr même s’il y a de l’attachement, nous avons le désir de tout donner à la personne que l’on aime, mais donner de l’amour, c’est aussi donner la liberté. L’attachement ne peut pas être la base d’une relation heureuse, car l’amour authentique est ouvert et non pas fermé.
En ce qui concerne l’agression ou la colère, c’est une émotion plus facile à reconnaître parce que notre parole devient dure, et que notre visage et notre comportement changent. L’antidote à la colère est la patience. Il est souvent difficile de confronter la colère parce que nous avons la vue erronée que notre colère est légitime, comme lorsqu’une personne génère un comportement abusif envers nous. Une facon de désamorcer la colère est de porter notre attention ailleurs, par exemple en pensant à notre enseignant ou en se remémorant des enseignements qui nous ont inspirés. Si nous restons attachés à l’événement qui a généré de la colère, celle-ci ne va que croître. Il est donc important de briser cet engrenage, même si cela veut dire penser à toutes les choses qui nous mettent en colère.
Sa Sainteté a raconté une histoire pour illustrer cela : Il y avait un nomade qui essayait de rassembler un troupeau de moutons, mais ceux-ci ne voulaient pas lui obéir et gambadaient dans toutes les directions. Il devint tellement furieux qu’il se mit à en frapper un. Cela n’aidant pas, il en frappa un deuxième, puis un troisième, ainsi de suite jusqu’à ce qu’il en ait frappé une soixantaine. Il était si fatigué, et son bras lui faisait tellement mal qu’il ne put continuer. Il comprit alors combien sa réaction avait été ridicule, sa colère s’évanouit, et il éclata de rire.
En réponse à une question sur les deux vérités que sont la vérité ultime et la vérité relative, Sa Sainteté a parlé de l’interdépendance et de la relation entre tous les phénomènes. Ce qui est court existe uniquement parce que quelque chose de plus long existe. L’Est existe en relation à l’Ouest. Rien ne peut exister qui ne soit en relation avec quelque chose d’autre. Il a donné l’exemple d’un vase. Nous concevons le vase comme un objet indépendant, mais si nous y versons de l’eau, cela devient un bol d’eau, et si nous y versons du thé, cela devient une tasse de thé. Parler de la vacuité, c’est aussi parler de l’interdépendance. La nature des choses est vacuité. Mais la vacuité doit être comprise au niveau relatif, telle la lune qui se réflète dans l’eau. Il n’y a rien qui existe de façon indépendante. Un bon exemple pour illustrer notre vue erronée est la plante vénéneuse. Nous la classons comme vénéneuse parce que nous ne considérons pas la nature relative des choses; nous pensons qu’elles sont constantes, alors que certains animaux mangent de cette soit-disant plante vénéneuse et s’en trouvent fortifiés. Tout est donc relatif.
Sa Sainteté décida de consacrer aussi l’après-midi à répondre aux nombreuses questions de l’auditoire.
La première question concernait la manière d’expliquer la réincarnation à un non-bouddhiste.
Sa Sainteté a commencé par rappeler que le fait de croire à quelque chose qui continue à exister après la mort est une expérience commune à toute l’humanité. Mais comme c’est une idée qui est au-delà des preuves qui soutiennent le pour et le contre, alors il y a place au doute. Par contre, il y a des gens qui se souviennent de leurs vies antérieures et ce ne n’est pas forcément des personnes qui viennent des pays où la réincarnation fait partie de leur culture. Ainsi donc, ce sujet ne peut être expliqué de manière satisfaisante ou être rejeté ; c’est une question qui rentre dans la catégorie des choses ouvertes qui laissent place au doute.
D’un point de vue bouddhiste, il y a un argument logique. Lorsqu’un nouveau-né prend sa première bouffée d’air, il y a sans aucun doute une conscience qui agit, mais cela doit être la conséquence de causes et de conditions, et ces causes et conditions doivent être similaires à leurs résultats. Donc, la conscience du bébé doit être engendrée par des conditions similaires, par un moment antérieur de conscience. L’observation montre que la conscience ne peut être créée par la matière, alors la seule cause possible est celle d’une autre conscience. La matière a un continuum, si elle pouvait se transformer en conscience, alors toute matière produirait de la conscience, ce qui n’est pas le cas. La nature de la conscience même, est cognition et connaissance. On peut donc dire que le continuum de la matière et le continuum de la conscience sont séparés.
De nos jours les gens sont de plus en plus matérialistes, alors il est difficile de démontrer le continuum de l’esprit ; toutefois il y a quelques méthodes, dont notamment la méditation. Lorsque nous méditons, notre conscience au niveau grossier, devient plus subtile et il est possible de se souvenir des vies antérieures. Nous pouvons faire l’expérience de certaines mémoires qui appartiennent à des vies passées.
La question suivante concernait le sens de l’expression : « Donner la victoire aux autres ».
Le Gyalwang Karmapa a proposé deux aspects à cette question. Le premier est d’en faire l’expérience réelle; de poser le geste. Le deuxième est d’entraîner notre esprit et d’en faire l’expérience à travers la méditation; tel que de pratiquer le tonglen, qui implique de prendre sur soi la négativité des autres et de l’échanger contre notre propre mérite. Sa Sainteté a expliqué la visualisation à faire. Imaginant notre intérêt personnel et notre égoisme, tel un feu ou une lumière brûlant à niveau de notre coeur, nous prenons la souffrance des autres sous la forme de noirceur, de façon à ce que le feu de notre propre attachement soit éteint par cette noirceur. Cette puissante visualisation va graduellement changer notre attitude. Ensuite, il s’agit d’offrir sans retenu notre propre mérite aux autres, car tel est notre souhait. En réalité, nous ne prenons pas la souffrance des autres et ne perdons pas notre mérite, mais, nous entraînons notre esprit.
Il y a aussi des situations où un acte de générosité possède une application effective, tel qu’offrir un rein pour une transplantation ; mais nous devons avoir une compréhension juste, en examinant attentivement la situation. Il est certain que si nous pouvions donner un rein et ainsi sauver la vie de quelqu’un, cela nous rendrait vraiment heureux. Un autre exemple est lorsque deux personnes sont en compétition pour un même travail. Devrions-nous laisser l’autre personne l’obtenir ? Seulement si cette décision vient du coeur, et non pas parce-que nous nous sentons obligés, ou que nous croyons que c’est ce que nous devrions faire.
Une autre question concernait comment vivre en ville sans se sentir seul.
Se basant sur ses expériences lors son séjour aux Etats-Unis, le Gyalwang Karmapa a discuté du sentiment de dislocation et d’isolement qu’amène la vie moderne. Il a fait remarquer avec humour qu’à New York, nul besoin de consulter le calendrier pour savoir si c’est un jour de semaine ou de week-end, parce que les samedis et dimanches, on peut voir les gens se parler entre-eux dans la rue. Le restant de la semaine, ils sont trop occupés pour agir ainsi.
Il semble que la vie s’accélère. En Amérique, il s’est senti comme s’il venait juste de commencer le voyage, et c’était déjà la fin. Sa première journée en Amérique s’est déroulée à l’hotel Waldorf Astoria de New York. De la fenêtre de sa chambre, il ne pouvait voir le sol, tellement celui-ci était loin, tout en bas. C’était très étrange. Sa Sainteté a suggéré qu’au travers les activités incessantes de la vie moderne, nous devrions trouver du temps pour reposer notre esprit. Lui-même est de plus en plus occupé, mais il est capable de maintenir un esprit détendu et paisible. Nous devons apprendre à nous donner du temps. Il a donné l’exemple d’un cheval. Il peut courir plus vite qu’un homme, mais si ce dernier avance à une vitesse égale et de manière constante, le cheval va finir par se fatiguer et l’homme va arriver à le rattraper. Si nous sommes incapables de rester pleinement attentifs, nous allons nous sentir débordés.De la même facon, si quelqu’un tombe dans une rivière et se met à paniquer, cette personne peut se noyer. Si par contre, elle garde ses esprits et reste calme, elle peut rejoindre la rive et survivre. Maintenir notre attention peut réduire le stress.
La question suivante concernait la pratique de Chenrézig pour les nouveaux pratiquants.
Sa Sainteté a dit qu’il était important de recevoir une initiation avant d’entreprendre une pratique du Vajrayana. Ensuite, il peut être utile de recevoir des instructions et enseignements pour clarifier la pratique. Il pense que si la personne n’a reçu ni l’initiation, ni les instructions, cela peut ne pas lui être très utile de faire cette pratique.
Plusieurs des questions étaient liées aux difficultés de la vie quotidienne en Occident. Par exemple, comment agir face à l’attachement et à l’intérêt personnel des collègues de travail.
Sa Sainteté a répondu que la présence d’un bouddha pacifie les émotions conflictuelles des gens autour, parce que le Bouddha s’est complètement libéré de ses émotions négatives et est complètement éveillé. Les Sravakas font une prière d’aspiration afin que personne ne vivent d’émotions conflictuelles en leur présence, et cela diminue les émotions négatives des gens qui se trouvent à côté d’eux. Nous passons du temps à soigner notre apparence afin que les gens nous trouvent attirant. Il est tout aussi important d’avoir des qualités positives, un amour bienveillant et un intérêt pour les autres, afin que notre présence ne génère pas d’émotions négatives. Nous pouvons aussi donner l’exemple au travers de notre comportement, et cela pourra influencer les gens avec qui nous travaillons.
La question suivante a déclenché le rire de l’assistance: « Pourquoi les gens ont l’air de ce qu’ils ont l’air ? ».
Sa Sainteté a raconté qu’au Tibet, on dit que les personnes ont de longues oreilles parce que leurs professeurs leur ont tirés les oreilles lorsqu’ils étaient jeunes. Les bouddhas chinois ont de longues oreilles car c’est une marque de grâce.
Mais le fait que vos oreilles soient grandes ou petites est une question de race, d’environnement, et aussi de karma qui affectent le corps la parole et l’esprit. En général, on enseigne que le karma du corps et de la parole créent les conditions pour obtenir un corps harmonieux. C’est pourquoi Chenrézig sourit tout le temps; il a engendré de nombreuses actions vertueuses au niveau du corps et de la parole. Sa Sainteté se tut un instant…..« On dit que je ne souris pas beaucoup, j’ai bien peur de ce que j’aurai l’air dans le futur! », dit-il en plaisantant.
La question suivante était liée à la signification de la phrase du Bouddha : « Je prends la terre comme témoin » lorsqu’il eut atteint l’éveil.
Le Gyalwang Karmapa a expliqué que la terre est une base pour tous les êtres. La terre est totalement neutre; elle est comme une mère pour chacun de nous. Le Bouddha a atteint l’éveil, a touché la terre, et celle-ci a vibrée six fois.
Finalement, quelqu’un s’est enquéri d’une prière qui contient la requête de se réincarner en tant que mâle, et si cela n’entrait pas en contradiction avec l’aspiration de Tara d’atteindre l’éveil sous une forme féminine ?
Sa Sainteté a d’abord expliqué que la prière en question reflétait les souhaits de certaines personnes, et que c’était un désir du temps où la femme avait un statut inférieur et peu de liberté sur sa vie. D’où le désir de se réincarner en tant qu’homme. Nous pouvons prier pour tout ce que nous voulons, et dans ce cas-ci, il est important de faire la différence entre les désirs des gens et la pensée bouddhiste.
Il a suggéré que si nous le désirons, nous pouvons prier afin que tous les hommes se réincarnent en tant que femme- ce qui a provoqué beaucoup de rires- à partir du moment qu’il y ait une bonne raison pour cette aspiration, et que cela soit fondée sur le souhait d’aider les autres.
Ceci a conclu le deuxième jour.