Message du KARMAPA au Monastère Tergar aux Occidentaux, la Veille du Nouvel An, le 31 janvier 2006
Lorsque j’étais petit et que je vivais au monastère, j’étais impatient d’attendre l’arrivée de la nouvelle année. Je pouvais à peine dormir, sans doute en raison de nouveaux espoirs et de nouvelles aspirations. Ainsi, pour cette nouvelle année, j’ai aussi un espoir et un souhait : c’est qu’avec la venue de cette nouvelle année je pourrai peut-être marcher sur votre terre, celle du continent occidental, marcher sur les mêmes paysages, et ouvrir la porte de votre monde. C’est mon souhait pour cette nouvelle année.
En contemplant cette année, nous pouvons nous rappeler des expériences qui ont été douloureuses et difficiles. Nous nous rappelons aussi de la joie et des expériences heureuses. Ces différentes expériences, qu’elles soient difficiles à surmonter ou joyeuses et plaisantes, sont les paysages, les tapisseries de nos vies; elles sont des ornements pour donner un sens à nos vies. Il est important de se rappeler de ces moments de joies et de peines qui ont marqués cette année passée. Les difficultés que l’on a rencontrées, les expériences douloureuses, ne doivent pas être abandonnées, mises de côté, ou ignorées parce que trop douloureuses. Les difficultés et les défis doivent être utilisés pour façonner nos vies et leur donner un sens.
Personnellement, j’ai été confronté à des difficultés particulières notamment au cours des années 1999 et 2000 (1) , comme beaucoup d’entre vous le savent. Ces difficultés et ces défis sont devenus les ornements de ma vie. Sans ceux-ci je serais sans doute resté inconnu. En fait, cette période m’a valu une certaine renommée.
Ainsi, toute difficulté peut être reçue comme une bénédiction cachée qui peut orner notre vie et entraîner des résultats bénéfiques. Ce qui est pertinent c’est de pouvoir utiliser n’importe quel problème que l’on a rencontré pour un développement plus grand quant à l’année à venir.
Ainsi, ils deviennent des ornements. La dignité de l’homme est magnifiée, décorée par cet apprentissage. C’est la chose la plus précieuse à accomplir. Si on ne peut pas, alors au moins, on doit laisser de côté, lâcher prise. N’emportez pas de fardeaux avec vous dans cette nouvelle année.
En 2006, j’ai fait face à plusieurs défis, notamment celui de la direction du Kagyu Monlam. Cela implique beaucoup de responsabilités, de problèmes et de réflexions. Mais ce soir, tous ces défis, aussi difficiles qu’ils aient pu être, le valent bien, car j’y ai fait face pour vous. Pourquoi être attaché à eux ? Je les ai donc laissés derrière moi.
Ce soir je viens l’esprit clair et dispos. J’espère que vous avez aussi l’esprit dispos, afin de décorer et honorer votre vie humaine, au pire ne pas porter de fardeaux dans votre vie présente. Nous avons besoin d’espace, alors n’emportez rien de pesant venant du passé. Dites « Au revoir » au passé !
Ce que nous ne voyons pas c’est que le temps est en train de nous contrôler; les habitudes nous contrôlent. Mais, le temps ne va pas nous dicter quelque changement que ce soit. Les habitudes ne doivent pas nous contrôler, mais c’est notre volonté qui doit nous guider. Examinez cette inspiration, cette motivation au changement ! Nous utilisons l’occasion de la Nouvelle Année pour qu’elle serve intentionnellement de véhicule au changement. Nous pouvons changer n’importe quel moment souhaité, si nous ne nous laissons pas contrôler par le temps ou par nos habitudes.
Le but principal du Bouddhisme est de discerner notre vue habituelle conditionnée, réaliser que notre vue est conditionnée et extrême, quelle que soit la vue de la réalité que nous ayons. Les enseignements du Bouddhisme nous aident à nous défaire de ces fixations. Ils nous aident à les comprendre, ainsi que notre tendance à la rigidité et à ne pas développer d’autre vision que celle-ci….
Lorsque nous appliquons le Dharma dans nos vies spirituelles et nos activités quotidiennes, notre attitude doit être libre de fixation extrême. Lorsque nous vivons nos vies, et sommes face aux défis et aux difficultés, il y a assez de place pour qu’il y ait du mouvement, pour que les activités prennent place naturellement. Il n’y a pas à être coincé, mais plutôt à percevoir de l’espace pour l’espoir, pour les possibilités, pour la confiance.
Ainsi, lors de cette soirée spéciale, il est important pour nous de savoir que l’on ne va pas essayer de promouvoir telle ou telle vision. Nous avons déjà assez de points de vue. Ce dont nous avons besoin, c’est de l’expérience authentique de la paix de l’esprit, de la stabilité de l’esprit, du développement de la profondeur de la sagesse…Tout cela ne dépend pas de la durée de notre pratique, mais d’une contemplation que l’on doit adopter tous les jours, tout au long de notre vie. Nous nous entraînons ainsi à regarder jour après jour, semaine après semaine, mois après mois.
Nous pouvons utiliser l’amour bienveillant et la compassion. Nous pouvons nous demander ce que nous avons amélioré ? Qu’avons-nous cultivé dans notre vie quotidienne pour que cela apparaisse ? Pour progresser nous avons besoin de deux choses :
un bon guide
savoir ce qui est sain à adopter et ce qui est nuisible à abandonner. Développer une appréciation personnelle de ces deux aspects.
Aidez-vous ! Aidez-vous à ne pas être dépendant de l’autre pour vous développer, aidez-vous à embrasser les lignes de conduite dont vous avez besoin. Que signifie « S’aider soi-même »? C’est se nourrir trois fois par jour, c’est prendre soin de notre corps trois fois par jour. Trois fois ou pas, nous avons la notion de prendre soin de notre corps. Il y a une notion du « Je » qui appartient à notre corps. En réalité, dans cette expérience qui perdure, il n’y a pas de référence à quelque chose de fixe, à un corps ou à une autre entité. Pourtant il y a une dépendance, peut-être une conscience, un esprit, une vigilance dont nous faisons l’expérience. S’il en est ainsi, peut-être avons-nous besoin de renforcer cette vigilance, la nourrir trois fois par jour ; nourrir l’esprit afin d’être fort, d’être confiant, et d’avoir un esprit mature, comme si l’on prenait des vitamines pour le mental. Attraper un rhume physique est inconfortable, mais un attraper un rhume mental est bien pire. Peut-être devrions-nous faire plus attention à notre esprit qu’à notre corps.
En conclusion, j’aimerais vous dire que j’avais entendu qu’il y avait mille d’entre vous venant de l’étranger. Pour moi vous êtes comme « Mille Bouddhas », « Mille Bodhisattvas ». En fait, je ne sais pas à quoi un bouddha ressemble, à quoi les bouddhas sont supposés ressembler, mais cette fois les bouddhas ont différentes nuances de cheveux : blond, noir, marron. Il y a des grands, des petits. Je suis impressionné par toutes les différentes variétés de manifestation des bouddhas.
Ainsi, vous êtes venu ici et participez sincèrement au Kagyu Monlam. Je me sens fortifié
par votre présence. Je me sens renforcé au point de vouloir faire quelque chose. Je dois faire plus ! Alors grâce à la force que vous m’apportez, j’aimerais tous vous remercier :
Merci !
Dans le passé mes activités dépendaient d’autrui, d’une puissante connexion avec les autres, de rapports très puissants. A l’avenir aussi, le rattachement dans l’inséparabilité avec autrui sera lié à mon activité. Vous comptez tous pour moi, vous êtes une source de bienfait, et peut-être le suis-je un peu pour vous ? En cette veille de nouvelle année, je vous adresse du plus profond de mon coeur mes souhaits bienveillants pour votre bien-être. Puissions-nous rester connectés dans les années à venir. Si l’expérience est heureuse, nous la vivrons ensemble. Si l’expérience est souffrance, nous la vivrons ensemble.
Je vous souhaite le meilleur ! Bonne Année !
(1) Fuite de sa sainteté du Tibet