La Vie de Tilopa par Sa Sainteté le 17ème Gyalwang Karmapa
(Le 21 Février 2007, Nonnerie de Tilokpur)
Il existe plusieurs biographies du Mahasiddha Tilopa, cependant elles ne comportent pas de détails précis quant à son histoire, ne fût-ce que son lieu et sa date de naissance, les endroits qu’il a pu parcourir, s’il est bien mort ou non. Sans les mentions de sa date de naissance et de bien d’autres détails, il est difficile de raconter l’histoire détaillée et précise de Tilopa.
Toutefois je vais essayer de vous la résumer en espérant que cela vous sera bénéfique.
Nous essayons tous de donner un sens à notre vie pour la rendre bénéfique. Alors que notre durée de vie est courte, le moment de notre mort reste incertain. Les maladies, et autres circonstances sont à même de mettre fin à notre existence, si fragile. Malgré cela, il est important de chercher à lui donner du sens et à la rendre utile, durant le peu de temps qu’il nous reste à vivre. Comment lui donner du sens ? Il ne s’agit pas d’avoir beaucoup de biens ou plusieurs projets à entreprendre et à achever. Je pense que nous pouvons donner du sens à notre vie en étant bénéfique à la société et en aidant tous les êtres de quelque façon que ce soit. Il y a des personnes qui dédient leur existence entière à un être, et pensent que c’est la meilleure des façons pour donner du sens à leur vie. Cette dernière est importante, mais en la sacrifiant à un être, cela ne nous libérera pas de la souffrance. Il est essentiel de comprendre que notre vie est très précieuse. Même si le fait de dédier notre vie entière reste un geste noble, cela ne nous libèrera pas de la souffrance du samsâra. Prenons un exemple: durant toute leur vie, les bovins, les yaks, et autres animaux sont au service de l’homme, et sont parfois tués pour leur viande. Cela est vrai, comme j’ai pu le voir au Tibet. Vous l’avez aussi sans doute constaté, en voyant des gens garder des animaux domestiques pour l’élevage, le lait, et l’alimentation. La vie entière d’un animal au service de l’homme, ou sa chair, n’apporte ni le bonheur, ni la libération. Cela permet peut-être un soulagement de la faim et une satisfaction temporaire, mais rien de plus.
D’un autre côté, si l’on éduque la société et les habitants de ce monde sur la façon de développer la sagesse et la connaissance, notre intelligence devient plus acérée. Je pense que cette forme de contribution apporte un bénéfice permanent, aussi bien au monde entier qu’aux individus. Il n’y a aucune limite, un tel bienfait est sans borne et n’engendre aucune négativité.
Plusieurs Grands Hommes ont été bénéfiques à ce monde, ainsi qu’aux individus, en introduisant et en enseignant leurs découvertes sur la connaissance, la réalisation, et la sagesse. Je pense que lorsqu’une personne met à disposition une nouvelle découverte et qu’elle enseigne sa propre connaissance, sa sagesse et sa réalisation, le bienfait qui en résulte est inconcevable. Lorsqu’elle partage ses découvertes avec d’autres, les bienfaits apportés sont au-delà de toute limite. L’exemple même d’une telle personne est l’illustre Tilopa qui a enseigné sa sagesse et sa réalisation, profitant ainsi à d’innombrables êtres. La connaissance et toute autre découverte bénéfique ne doivent pas être gardées secrètes, elles doivent être accessibles à tous. Une telle introduction sera profitable pour tout le monde. Par exemple, lorsqu’un médecin découvre un nouveau médicament qui peut guérir une maladie incurable, il ne doit pas être conservé secrètement dans une boîte ou dans une maison, mais, doit être mis à la disposition du monde entier. Les propriétés de ce médicament pourront ainsi sauver la vie de plusieurs personnes et continuer à être bénéfiques à tous, et ce sans limite.
Je pense qu’il est très important pour nous d’étudier la vie de Tilopa, de comprendre l’obtention de sa réalisation à travers ces épreuves et sa diligence. Il est aussi essentiel de comprendre ses activités bienveillantes qui continuent de nos jours à être bénéfiques, et ce, de manière incommensurable. Sans l’étude et la compréhension de sa grande sagesse, de même que de son amour et de sa compassion pour autrui, il nous sera impossible de l’apprécier, et de comprendre de quelle manière il a contribué à notre monde et le bienfait qu’il a apporté.
Comme je vous l’ai mentionné précédemment, la biographie de Tilopa fut écrite dans une langue Tibétaine très ancienne, difficile à traduire en langues étrangères pour les traducteurs, mais également difficile à comprendre pour les contemporains modernes Tibétains. Cependant, je ne vais pas parler de sa biographie en détails, mais, plutôt vous raconter quelques événements de sa vie, tirés d’un récit. Le Mahasiddha Tilopa naquit au sein d’une famille de Brahmanes dans la cité du Bengale, située dans l’Est de l’Inde. Il est écrit qu’il resta dans le ventre de sa mère pendant treize mois. Il naquit à l’aube, le second jour du douzième mois du calendrier lunaire de l’année du rat de l’élément terre.
Selon la culture Indienne et tout particulièrement au sein de la culture des Brahmanes, la plus haute caste Indienne, il était de tradition d’inviter un devin ou un astrologue, ou bien encore un sage, afin de prédire l’avenir du nouveau né, ainsi que ses prédispositions. Lorsque le premier devin vit Tilopa, il fut ébloui par ses qualités extraordinaires. Ce qui caractérisait Tilopa était au-delà de toute conception humaine. Le devin n’y comprenait rien et ne sut comment l’expliquer aux parents de Tilopa. Il partit précipitamment, disant qu’il ne pouvait absolument pas interpréter la magnificence des qualités de leur enfant. Alors, la famille fit appel à autre expert. De même, celui-ci s’excusa très poliment et se retira promptement, déclarant que les caractéristiques de cet enfant dépassaient ses concepts. Il fut navré de ne pouvoir expliquer de telles particularités avec des mots. (« L’histoire de Tilopa devient très compliquée et je vais peut-être aussi devoir partir….. » ajouta Sa Sainteté en plaisantant.)
Les parents de Tilopa reconnurent que leur fils était un enfant extraordinaire et hors du commun, comme le prédisaient les devins. Ses parents s’occupèrent de lui avec une attention particulière et l’éduquèrent avec beaucoup d’amour et en l’entourant de leur protection. Ils ne le laissèrent pas s’amuser, ni rester avec d’autres personnes ; ils l’élevèrent seuls, toujours avec beaucoup d’attention.
Lorsqu’il fut temps pour Tilopa de se tourner vers le dharma, un fait étrange se manifesta. Un jour qu’il était assis au soleil, jouant sous les yeux de sa mère et écoutant ses tendres paroles, une grande ombre le recouvrit soudain. Sa mère leva les yeux brusquement et vit une horrible vieille femme devant eux. Elle fut si effrayée de voir un être si monstrueux, qu’elle se mit à hurler à la vieille femme, l’enjoignant de s’en aller tout de suite. La vieille femme mit en garde la mère de Tilopa : malgré son amour et son désir de protéger son fils, elle ne pourrait pas le protéger d’une mort intempestive. Cette remarque interpella la mère qui demanda à l’horrible vieille femme comment y remédier. Cette dernière lui conseilla d’envoyer son fils à l’école pour y parfaire son éducation, puis elle disparut dans le ciel.
Après cette entrevue, la mère de Tilopa fit part de cette entrevue à son mari, qui était parti en déplacement. Des jours et des semaines passèrent, les parents de Tilopa étaient de moins en moins préoccupés par la prédiction de la vielle femme. Après tout, il était de tradition dans la culture des Brahmanes d’envoyer leurs enfants à l’école pour recevoir une bonne éducation. Ils envoyèrent alors leur fils parfaire son éducation à l’école où il acquit la maîtrise des arts et de la philosophie dans la culture brahmane. Quelques années plus tard, il était devenu un très grand érudit.
Vers sa vingtième année, la vielle femme apparut à nouveau, elle était encore plus terrifiante qu’auparavant. Elle recommanda aux parents d’envoyer Tilopa dans la forêt pour s’occuper des buffles, leur indiquant qu’il obtiendrait ainsi la bénédiction des dakinis. Pris de court, ils furent si déconcertés par les propos de la vieille femme, qu’ils restèrent sans voix. Celle-ci se tourna vers Tilopa et lui dit : « Es-tu prêt à aller dans la forêt et à t’occuper des buffles ? » Tilopa lui répondit : « Oui, je le suis ! », puis la vieille femme disparut à nouveau.
A la suite de sa prédiction, les parents de Tilopa suivirent ses conseils. Ils achetèrent donc des buffles et envoyèrent leur fils dans la forêt. Lorsque Tilopa gardait les buffles, il avait en fait assez de temps pour lire des textes et des livres sur le bouddhisme. Il apprit ainsi considérablement sur le dharma. Un jour, alors qu’il gardait son troupeau de buffles, il rencontra une très jolie jeune fille qui lui demanda d’où il venait et qui étaient ses parents. Après lui avoir raconté son histoire, la jeune fille lui offrit plusieurs présents de grande valeur dont une couronne incrustée de pierres précieuses. Elle lui conseilla de se rendre au pays d’Uddiyana afin de recevoir les enseignements tantriques secrets. Tilopa retourna chez ses parents et relata sa rencontre avec cette jeune fille. Ils discutèrent pendant un moment et réalisèrent que par le passé toutes les prédictions des dakinis s’étaient avérées auspicieuses et favorables pour leur fils. Ils furent réjouis par cette nouvelle prédiction et encouragèrent Tilopa à suivre les conseils de la dakini. Ils lui donnèrent alors leurs bénédictions pour son départ au pays d’Uddiyana. Tilopa quitta ses parents en emportant seulement les rares présents que la jeune fille lui avait offerts.
Uddiyana n’est pas un champ de bouddha céleste invisible où les gens ne peuvent se rendre. C’est en fait un lieu que les personnes fortunées sont à même de visiter. En effet, il y a cinq lieux sacrées connus comme étant « les cinq lieux du Vajrayana » ou « Sources du Tantrayana » où les enseignements du Vajrayana sont préservés et enseignés. Uddiyana est l’un de ces royaumes, aujourd’hui connu comme étant le Pakistan. Plusieurs grands maîtres du Tibet de même que des érudits Chinois s’y sont rendus, du fait qu’il était le lieu d’origine des enseignements tantriques.
Nous avons un dicton au Tibet qui dit : « Les maîtres ont le contrôle absolu de la façon dont ils veulent présenter leurs enseignements ! » Alors je vais utiliser ce pouvoir en écourtant cette histoire.
Lorsque Tilopa se rendit en Uddiyana, il rencontra beaucoup d’épreuves et d’obstacles, causés par les dakinis. En général, nous pensons que les dakinis sont des êtres nobles et bienveillants, mais cela n’est pas toujours le cas. Du point de vue de certains indiens, les dakinis sont des êtres qui dévorent la chair humaine, absorbent le sang des hommes, font du mal aux gens, peuvent jeter des sorts, et faire des choses pas très bénéfiques. En Inde, si vous dites à une femme : « Vous êtes une dakini ! », cette personne ne sera sûrement pas ravie, car vous lui dites en fait : « Vous êtes une sorcière ! ».
Tilopa surmonta toutes les difficultés et tous les obstacles sur la route qui le menait vers le pays d’Uddiyana. Arrivé à Uddiyana, il y reçut l’enseignement intégral et secret des dakinis et ce, directement de Vajrayogini. Il n’est pas précisé s’il eut une vision pure du Yidam Vajrayogini ou s’il la vit sous sa forme humaine. Quoi qu’il en soit, en recevant les enseignements directement du Yidam Vajrayogini, Tilopa atteignit instantanément la réalisation absolue. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’il enseigna plus tard ses étudiants, il mentionna : « Moi, Tilopa, je n’ai pas de Gourou humain. Mon Gourou est le Grand Vajradhara ! ». Cette déclaration sous-entend que Tilopa atteignit la même réalisation complète que le Bouddha Shakyamouni, et qu’il y est parvenu sans dépendre d’un maître humain. En raison de son apparence extérieure, il fut difficile pour qui que ce soit de reconnaître en Tilopa un pratiquant du Bouddhisme, et encore moins un érudit ou un mahasiddha. Toutefois, lorsque nous avons une meilleure compréhension de sa vie et comprenons la manière dont il a reçu les enseignements tantriques de la déité d’élection (yidam) Vajrayogini, à Uddiyana, nous percevons sans le moindre doute Tilopa comme étant l’un des maîtres les plus importants, qui transmit les enseignements du Bouddha appartenant aussi bien au Tantrayana qu’au Soutrayana. C’est la raison pour laquelle Naropa le prit pour maître.
Comme je l’ai dit auparavant, la biographie de Tilopa n’est pas aussi claire et ne mentionne pas exactement ce qu’il a fait, les lieux où il s’est rendu, son trépas, s’il est bien resté dans cette grotte. En même temps, je ne peux confirmer qu’il n’y était pas. Je pense que cela n’a pas d’importance. Je suis content de cette visite et d’avoir enseigné sur la vie du Mahasiddha Tilopa. A proprement dit, ce lieu est assez proche d’une région qui s’appelle Zalandra, un autre lieu saint où les enseignements du Tantrayana puisent leur source et qui est également proche de la contrée d’Uddiyana. Je trouve qu’il y a quelque chose en commun entre les mahasiddhas et les Occidentaux, ils aiment tous beaucoup voyager et tout explorer. Tilopa a peut être voyagé ici lorsqu’il s’est rendu en Uddiyana. Il a peut-être exploré cette contrée et il est sans doute resté dans cette grotte.
Le plus important est de savoir que les nobles nonnes ont établi un institut bouddhiste pour y étudier, pratiquer et préserver les enseignements de Tilopa. Tilopa réside n’importe où, à partir du moment où ses enseignements et sa lignée y sont pratiqués. Ce qui importe, c’est notre dévotion et notre confiance. La grotte de Tilopa peut en fait se situer n’importe où. Par exemple, il y a plusieurs Potalas qui représentent le royaume d’Avalokiteshvara. Il y a un Potala au Tibet, un autre en Chine, et un autre en Corée. Il y aussi d’autres endroits qui sont appelés Jago Phunpo Ri, lieu où le Bouddha a enseigné la Prajanaparamita. Il y a un Jago Phunpori à Rajgir, en Inde, et un autre en Chine. Ainsi donc, ce qui est important, c’est notre sincère dévotion et notre confiance. Les êtres éveillés comme Tilopa peuvent apparaître et donner des bénédictions aux êtres qui sont emplis de conviction et de dévotion, où qu’ils soient. Je suis impressionné par les nobles nonnes qui ont établi cet Institut Bouddhiste à Tilokpur en travaillant très dur. Grâce à leur dévouement et à leur aspiration, ce lieu a pu voir le jour – lieu où les enseignements du Bouddhisme sont enseignés. De ce point de vue, on peut dire que Tilopa a vécu ici, car la tradition Bouddhiste de la lignée Kagyu enseignée par Tilopa lui-même, y est pratiquée. Le fait de savoir qu’il existe un endroit où les enseignements Bouddhistes y sont pratiqués et préservés, cela nous rend confiant. L’amour bienveillant et la compassion y sont enseignés et développés. On peut ainsi dire que ce lieu est une terre sainte, et je ne pense pas qu’il soit contradictoire de dire que cet endroit est le lieu où Tilopa a résidé. De toute évidence, c’est le lieu où les enseignements de Tilopa sont enseignés et d’un point de vue spirituel, voire même mondain, c’est vraiment la grotte de Tilopa. Ce qui importe c’est d’avoir la certitude. Ainsi donc, avec une confiance absolue, libre de doutes, vous devez sentir que c’est la cave de Tilopa.
Je voudrais remercier à nouveau les nobles moniales de Tilokpur pour leurs efforts dans la préparation de cette visite, et pour la construction de la Nonnerie Bouddhiste près de la grotte de Tilokpur. Je voudrais également souhaiter la bienvenue aux visiteurs et les remercier de s’être déplacés. Ils ont fait un voyage difficile et sont venus de loin en dépit de leur situation financière. Je prie afin que vous receviez les bénédictions de la lignée et trouviez le but essentiel de votre vie.
Traduction anglaise : Ringu Tulku Rinpoché
Transcription anglaise : Mrs Sally Clay
Traduction française : kagyuoffice-fr.org