Akshobya, l’immuable : le paradigme de la patience
Le Karmapa enseigne l’histoire d’Akshobya et comment on peut utiliser sa pratique pour développer la patience envers les êtres.
29 août 2015 - 3e jour des enseignements à Bonn, Allemagne
Avant de conférer l’initiation, le 17e Karmapa fait une présentation du Bouddha Akshobya en deux parties : son histoire et son importance dans la tradition du bouddhisme tibétain, et la connexion entre Akshobya et la lignée du Karmapa.
Sa Sainteté commence par préciser le sens du nom Akshobya et explique qu’en tibétain, Akshobya est connu sous le nom de Mitrougpa - ce qui signifie quelqu’un qui n’est perturbé ni par l’agressivité ni par la colère, quelqu’un qui demeure imperturbable. (Le terme français ‘immuable’ ne traduit pas exactement ceci.) Plus tard, au cours de l’enseignement, il explique que, dans la tradition tantrique, on utilise un autre nom ‘Migyourpa’, et ce terme porte le sens de ‘immuable’ ou ‘imperturbable’.
Selon la tradition, Akshobya était à l’origine un pratiquant pieux, un moine pleinement ordonné qui demanda au Bouddha ‘Grands Yeux’ quelle pratique ou quelle qualité était indispensable sur le chemin de l’éveil. Le Bouddha répondit que la qualité la plus importante était incontestablement la patience inébranlable, la capacité de demeurer imperturbable face à des perturbations négatives telles que la colère et l’agressivité. Sans hésiter, en présence du Bouddha et devant la sangha, le moine fit immédiatement cette promesse : « A partir de ce jour et jusqu’à ce que j’atteigne l’état de Bouddha, je n’aurai aucune intention de colère ou d’agressivité envers aucun être, quel qu’il soit. » Ceux qui étaient présents éprouvèrent un grand respect et une grande appréciation pour la détermination de ce bodhisattva, et même le Bouddha ‘Grands Yeux’ fit sa louange en disant : « Ton esprit est très stable … et à partir de maintenant, tu seras connu sous le nom d’Akshobya. A partir de maintenant jusqu’à ce que tu atteignes l’état de Bouddha, ton engagement de ne pas montrer d’agressivité envers aucun être ne faiblira pas … et quand tu auras atteint l’état de Bouddha, tu seras aussi Akshobya. »
Puis Sa Sainteté mentionne le rôle joué par Akshobya dans la tradition du vajrayana du bouddhisme tibétain. Il y a des références à des états d’obtention du fruit, tel que la base d’Akshobya, aussi connue comme la base non perturbée ; et le Bouddha Akshobya apparait dans la présentation des cinq familles de bouddhas. Dans les quatre classes de tantras, qui reflètent des niveaux de plus en plus subtils de la véritable nature de la réalité, Akshobya apparait dans les tantras les plus élevés - l’anuttarayoga - où on l’invoque comme la représentation de la sagesse non-duelle de l’esprit éveillé de l’état de Bouddha. C’est ici que se trouve le lien entre Akshobya et la lignée du Karmapa.
En effet il y a un lien tout particulier entre le Bouddha Akshobya et la cérémonie de la Coiffe noire, explique Sa Sainteté. Cette cérémonie a été accomplie dans de nombreux pays par le 16e Karmapa, Rangjoung Rigpé Dorjé, et certains des personnes les plus anciennes présentes aujourd’hui y ont assisté. Akshobya symbolise l’esprit éveillé des Bouddhas, le dharmata inaltérable, qui est la véritable nature immuable de la réalité. Au Tibet, le ciel est souvent utilisé comme le symbole de cette qualité immuable, et par association, sa couleur en est venue à représenter la nature immuable. « La coiffe noire n’est pas vraiment noire, mais plutôt bleu foncé, de la couleur du ciel au Tibet. » Le Karmapa poursuit : « Pour ce qui est de la cérémonie de la Coiffe noire, la Coiffe noire elle-même symbolise l’esprit éveillé immuable, la sagesse de la véritable réalité immuable. » Si les personnes qui assistent à la cérémonie de la Coiffe noire ont assez de mérite, « par le jeu de l’interdépendance extérieure et intérieure, et par la relation interdépendante entre le symbole et ce qui est symbolisé », ils peuvent reconnaître la vraie nature de leur esprit, la sagesse de la véritable nature immuable.
Après une longue pause au cours de laquelle Sa Sainteté a accordé des audiences en groupes ou individuellement, l’enseignement reprend au milieu de l’après-midi. Le Karmapa partage maintenant ses réflexions personnelles sur le Bouddha Akshobya et la pratique d’Akshobya.
Il explique comment, en raison de son implication dans le Kagyu Meunlam, au cours duquel le rituel complet d’Akshobya est accompli depuis 10 ans, il a été amené à faire des recherches sur la tradition d’Akshobya, à étudier les soutras qui mentionnent Akshobya, y compris ceux qui existent seulement en chinois (et pas en tibétain). Il a ainsi approfondi sa connaissance d’Akshobya et a développé avec lui une connexion plus profonde, ainsi qu’avec sa pratique. Il raconte combien l’histoire d’Akshobya l’a profondément marqué. « Personnellement, je me sens très inspiré par la motivation qu’Akshobya a fait naître en lui, et par son engagement de ne plus avoir de colère envers aucun être jusqu’à ce qu’il atteigne l’éveil complet. » Il explique que l’étude de ces soutras a semé des graines bénéfiques dans son courant de conscience. Il ressent un profond respect pour Akshobya, en particulier du fait qu’Akshobya se soit engagé à garder son vœu jusqu’à ce qu’il atteigne l’éveil, un processus qui peut prendre jusqu’à 30 éons incalculables. En ce qui le concerne, le Karmapa trouve que les meilleures instructions viennent de l’étude de la vie des maîtres du passé, des Bouddhas et des disciples des Bouddhas. Les instructions écrites peuvent être bonnes, mais au final, elles ne sont que des mots, conclut-il.
Ce qu’a accompli Akshobya est peut-être bien éloigné de ce dont nous sommes capable pour l’instant. Cependant, le Karmapa nous encourage à examiner nos propres aspirations à la lumière de l’aspiration d’Akshobya. « Pourquoi ne pas prendre l’engagement d’éviter l’agressivité à partir de maintenant jusqu’à notre mort ? » suggère le Karmapa. « Même cela est difficile à décider. Pourquoi ne pas commencer par une semaine ? Pouvons-nous nous engager à ne pas avoir d’agressivité ou à ne pas montrer de colère envers autrui pendant une semaine ? Et pourquoi pas juste un jour ? Je ne vais pas avoir d’agressivité à partir de maintenant jusqu’à ce soir. » Ne faire qu’y penser ne suffit pas, nous met-il en garde. Nous devons nous lancer ce défi et faire l’effort de voir de quoi nous sommes capable.
Le Karmapa remarque qu’il semble que les gens font couramment deux erreurs quand ils ont à faire face à des états d’esprit négatifs. Certains pensent qu’il nous faut étouffer ces émotions : « Je suis bouddhiste, je ne devrais pas me mettre en colère. » Sa Sainteté cite un proverbe tibétain : si un feu brûle dans votre ventre, de la fumée sortira par votre bouche. Essayer d’étouffer nos émotions n’est pas une façon saine de les gérer.
Une autre approche erronée consiste à appliquer des antidotes de temps en temps, quand nous nous sentons plus fort, et à essayer d’échapper à nos perturbations quand elles deviennent intenses, mais sans nous attaquer jamais à la cause.
La meilleure approche est d’entrer en relation avec nos émotions de façon honnête, tout en développant un sentiment d’enthousiasme et de joie, de façon à prendre délibérément la responsabilité de les transformer. Autrement la situation sera forcée, et ça ne marchera jamais.
« L’intention d’éviter toute agressivité envers les êtres est très importante », souligne le Karmapa ; « et c’est important car l’agressivité est à l’opposé de l’esprit d’amour envers les êtres. L’esprit d’amour souhaite que les êtres connaissent le bonheur, alors que l’esprit d’agressivité leur souhaite du mal. » Sa Sainteté suggère alors une technique que nous pourrions employer : quand une situation apparaît, il nous faut contrôler notre instinct qui nous pousse à réagir, en créant mentalement une petite distance entre nous et la situation. En étant attentif et vigilant, et en remarquant immédiatement si nous sommes passé en mode réactif, nous pouvons éviter les réactions inconscientes qui accroissent nos perturbations. L’attention est la clé.
Il identifie deux types de catastrophes qui génèrent la peur dans le monde. Le premier type comprend les guerres, les épidémies et les catastrophes naturelles, et se produit à l’extérieur de nous. Les catastrophes du deuxième type s’élèvent « de l’intérieur, dans notre esprit. C’est l’absence d’amour, notre incapacité à cultiver l’amour et à maintenir sa présence dans notre esprit. » Il est très important que nous nous appuyions sur l’attention, la pleine conscience et la vigilance : telle situation est propice à l’apparition de la colère et peut causer un vrai désastre. Si nous ne maintenons pas l’attention, nous participons à la création de ce désastre de façon directe et indirecte. »
Alors que la session de l’après-midi tire à sa fin, le Karmapa exprime l’espoir que ces enseignements aient été bénéfiques à tous et qu’ils puissent contribuer au processus de transformation de l’esprit.
« Nous avons parfois le sentiment d’avoir reçu des bénédictions des maîtres, ou d’avoir reçu leur compassion éveillée, ce qui fait naître en nous foi et inspiration ; parfois, nous avons le sentiment d’avoir reçu l’amour d’êtres qui sont comme nos mères et nos pères. Et ceci produit un certain changement mental. J’ai le souhait et la certitude que, grâce à ce programme d’enseignements et à l’initiation, vous trouverez en vous-même l’inspiration et l’encouragement qui seront le commencement d’un changement positif. »
Les participants sortent lentement de l’auditorium, beaucoup sont un peu réticents à quitter ce lieu où ils ont reçu une journée de bénédictions.