Le Karmapa fait part de ses réflexions à propos des vœux de bhikshuni
15 mars 2017 - Monastère de Tergar, Bodhgaya (Bihar), Inde
Le jour de la pleine lune, le 15e jour du mois tibétain (12 mars 2017), a lieu une cérémonie en l’honneur des nonnes qui ont pris les vœux de shramaneri au temple de Mahabodhi. Le Karmapa reprend l’allocution qu’il a prononcée à cette occasion car il souhaite compléter ses réflexions au sujet de la pleine ordination des nonnes.
« Comme je l’ai mentionné précédemment, l’histoire tibétaine mentionne que c’est à l’époque du roi du dharma Trisong Detsèn que sont apparues les premières sanghas ordonnées ; six ou sept princes se sont engagés et la communauté monastique est née. Avant cela, il est probable qu’il y ait eu des moines au Tibet car des moines venus de Chine ou d’Inde résidaient à Samyé ; cependant, il n’y avait probablement pas de Tibétains ayant reçu l’ordination, mais ceci nécessiterait davantage de recherche. Ceci étant dit, il est clair que, quand la première sangha a été établie, aussi bien des hommes que des femmes ont été ordonnés (rab byung po mo gnyis ka).
Ensuite, en particulier pendant la première diffusion des enseignements, l’histoire ne décrit pas clairement la situation des nonnes : nous ne savons pas comment les communautés se sont développées ou comment elles ont diminuées. Pour la période de la deuxième diffusion des enseignements, nous connaissons des histoires de la lignée Sakya, notamment ‘les Documents sur l’Inde et le Tibet’ (rGya bod yig tshang chenmo - pour le titre court -, et rGya bod yig tshang mkhas pa dga’ byed chenmo - pour le long), et également ‘Un bref récit des lignées familiales de la Glorieuse Sakya’(dPal ldan sa skya’i gdung rabs mdor bsdus). Dans ces textes, il est écrit que des femmes se sont engagées, et même plus ; parmi elles se trouvaient des bhikshunis (des nonnes pleinement ordonnées).
Mais ne nous arrêtons pas trop longtemps sur l’histoire tibétaine. L’essentiel est de constater que ni une sangha de bhikshunis ne s’est maintenue ni ces vœux ne se sont transmis au Tibet. Se pose alors la question suivante : s’il n’y a pas de bhikshuni, quel est le problème? La difficulté la plus importante est que, selon le vinaya, quand des femmes prennent les vœux, ce sont des bhikshunis qui doivent leur poser les questions : questions sur leur engagement quand elles ont quitté leur foyer, et sur les obstacles, etc., au cours de la cérémonie de prise des vœux de shramaneri.
La présence de bhikshunis est nécessaire, que l’on parle des vœux d’upasika (dge bsnyen ou vœux de fidèle laïque avec préceptes) ou des vœux d’ordination (rabtujungma) qui incluent les vœux de shramaneri (dge tshul ma ou nonne novice) et les vœux de shikshamana (dge sblob ma ou nonne en apprentissage). De même, une sangha de bhikshunis est nécessaire quand les vœux de bhikshuni (dge slong ma ou ordination complète) sont conférés. Donc, s’il n’y a pas de bhikshunis, il est difficile de conférer les vœux à des femmes de façon correcte et authentique, comme le décrit le vinaya. Au Tibet, les bhikshus (moines pleinement ordonnés) remplaçaient les bhikshunis pour donner les vœux d’ordination. Que ces vœux soient authentiques et qu’ils aient été correctement donnés est une question qui reste à examiner.
Selon les paroles du Bouddha, il est dit que s’il n’y a pas de bhikshunis, les bhikshus peuvent conférer les vœux. Plus tard, les grands érudits qui ont suivi les enseignements du Bouddha et ont composé des traités ont également écrit en ce sens. La tradition Kadampa du Tibet estimait la pratique du vinaya et gardait ses distances avec le mantrayana. Dans les écrits de ces maîtres Kadampa du passé, il est dit que s’il n’y a pas de bhikshunis, les bhikshus peuvent conférer aux femmes tous les vœux nécessaires. De même, dans le Soutra Mahaprajnapati, le Bouddha a dit qu’un homme - un bhikshu, un khènpo, un utpadaya ou un acharya - peut conférer des vœux aux femmes.
Il nous faut donc regarder s’il y a des bhikshunis quelque part dans le monde. Autrefois, le monde paraissait immense, mais maintenant tout est plus proche ; la planète s’est transformée en un grand village global où nous sommes tous connectés les uns avec les autres. Le monde a changé. Auparavant, quand on disait qu’il n’y avait pas de bhikshunis au Tibet, cela voulait dire qu’il n’y en avait nulle part dans le monde. Mais le monde étant devenu plus petit, il nous est possible de savoir s’il y a des bhikshunis ailleurs dans le vaste monde. Ainsi pouvons-nous constater qu’il y a en effet des bhikshunis dans la tradition chinoise. Elles appartiennent peut-être à la tradition Dharmaguptaka - qui est différente du vinaya tibétain de la tradition Mulasarvastinadin - cependant il est indéniable qu’il y a une sangha de nonnes pleinement ordonnées en Chine. Cela nous offre un espoir ou nous donne une base pour la restauration les vœux de pleine ordination pour les femmes. Dans le bouddhisme tibétain, nous n’avons peut-être pas de nonnes pleinement ordonnées, mais nous avons des nonnes qui se sont engagés et ont pris l’ordination, les shramaneris ou novices. Ces vœux ont été donnés par des bhikshus de la sangha masculine, et s’il n’y avait pas d’autre possibilité, nous pourrions restaurer la pleine ordination pour les nonnes par leur intermédiaire. Cependant, on pourrait alors se poser la question de savoir si cette façon de donner les vœux est la plus excellente ou la plus parfaite. Mais je pense que nous devons nous efforcer de faire les choses correctement et parfaitement. Pour cette raison, cette année nous avons invité des bhikshunis de la tradition Dharmaguptaka qui ont donné les vœux d’engagement (rabtujung) et les vœux de shramaneri (dge tshul ma ou novice) de façon à installer une base pour les vœux d’ordination complète. J’espère que ceci va fonctionner à la perfection et que ce sera la meilleure solution.
Certaines personnes peuvent penser que nous faisons tous ces efforts pour restaurer les vœux complets en raison de l’influence de nonnes occidentales. Mais le but, comme je l’ai expliqué auparavant, est le suivant : sans une sangha de bhikshunis, il est très difficile de donner des vœux corrects et authentiques à des femmes. C’est pourquoi il est extrêmement important de rétablir la communauté des bhikshunis. Quand nous étudions les cérémonies des vœux qui peuvent être pris par des femmes - par exemple, par une pratiquante laïque avec les préceptes, une femme qui s’est engagée, et une nonne novice - telles que décrites dans le vinaya (et nombre de ces cérémonies ont été traduites du sanscrit en tibétain), elles stipulent toutes que ce sont des bhikshunis qui devraient conférer les vœux aux femmes. Si nous sommes véritablement à la recherche de ces vœux authentiques, alors les bhikshunis sont la clé.
En outre, comme je l’ai mentionné plus tôt, les enseignements du Bouddha peuvent se résumer en les trois apprentissages (la discipline supérieure, le samadhi et prajna ou la sagesse). Le premier de ces apprentissages est l’entraînement à la discipline et il est difficile à des femmes de la pratiquer véritablement sans avoir accès à l’ordination complète. Elles ont la foi et la motivation altruiste d’être des détenteurs du dharma, il est donc important qu’elles aient l’opportunité de prendre les vœux de pleine ordination. »