17 août 2016 - Gurgaon
Cet après-midi, le Karmapa continue son examen de quelques points abordés ce matin à propos des lignes du soutra : « Les formes sont vides ; le vide est forme. Hors les formes, il n’est point de vacuité; hors la vacuité, il n’est point de formes. » Et puis le soutra nomme les quatre autres skandhas (ou agrégats):
De même, les sensations, les perceptions, les volitions et la conscience sont vides.
Quand Avalokiteshvara a expliqué la vacuité, il a commencé par les cinq skandhas : les formes, les sensations, les perceptions, les volitions et la conscience. Pour utiliser des termes modernes, nous pouvons les classer en deux catégories : la matière avec le 1er skandha des formes, et le mental (ou la psychologie) pour les quatre autres. Tous les phénomènes rentrent dans les catégories de ces cinq skandhas. Dans la vie quotidienne, nous nous concentrons sur les objets matériels et aussi sur ce qui se passe dans notre esprit ; ainsi les cinq skandhas sont liés à notre corps (le physique) et à notre esprit (le mental).
Le but de la pratique de la vacuité est de dissiper l’ignorance ou la mauvaise compréhension, qui a pour base notre corps et notre esprit. Avalokiteshvara explique donc à Sharipoutra qu’un pratiquant doit commencer par analyser son corps et son esprit pour arriver à la conclusion que tous deux sont en effet vides. Ainsi, la pratique ne consiste pas à chercher quelque chose à l’extérieur de nous-même ; au contraire, nous tournons notre esprit vers l’intérieur pour observer et analyser.
Ce matin, nous avons étudié la question de Sharipoutra (qui en inclut en fait cinq) sur comment doit s’exercer un bodhisattva. Avec les sous-catégories, ces cinq questions en sont devenues 11, et Avalokiteshvra a répondu à toutes.
Avec les lignes « Sharipoutra, n’importe quel fils ou fille de noble famille qui désire pratiquer la profonde Perfection de Connaissance, doit voir ainsi … », Avalokiteshvara explique comment doivent s’exercer des apprentis bodhisattvas sur les chemins de l’accumulation et de la jonction.
« Ils doivent voir parfaitement que tous les agrégats sont vides par nature. » ; ceci montre que ceux qui sont sur le chemin de la vision voient que tous les phénomènes sont vides. Il n’y a pas un seul phénomène qu’ils ne voient comme vide, dont ils ne reconnaissent la nature vide.
À partir de cette ligne, dans presque tout le soutra, jusqu’à « transcendant complètement toute erreur, ils atteignent l’ultime nirvana », l’idée est que, en suivant ce chemin, les bodhisattvas éliminent peu à peu leurs voiles intellectuels et atteignent le nirvana.
La ligne suivante est : « S’en remettant à la Perfection de Connaissance, tous les bouddhas demeurant dans les trois temps atteignent effectivement l’éveil parfait, insurpassable et totalement pur. » Ceci indique le chemin de la fin de l’apprentissage.
Le Karmapa revient en arrière pour examiner ces lignes-clés d’Avalokiteshvara, qui suivent l’explication de la vacuité des skandhas individuels : « Ainsi, Sharipoura, tous les phénomènes sont vides : sans caractéristiques, sans origine, sans cessation, sans souillures, sans absence de souillures, sans décroissance ni croissance. » Ces lignes montrent comment la vacuité se manifeste, comment elle apparaît.
Avalokiteshvara explique à Sharipoutra comment utiliser les cinq skandhas pour voir la véritable nature, il montre une piste pour voir la vacuité. C’est pourquoi Avalokiteshvara parle d’abord de la quadruple vacuité des cinq skandhas (« Les formes sont vides, » etc.). Ceci nous introduit à la vacuité de façon complète. Cependant, le problème est le suivant : Comment arrivons-nous à comprendre cette vacuité ? Comment la reconnaître à travers les cinq skandhas ? Comment pratiquer et cultiver cette sagesse ?
Il nous faut savoir pourquoi le Bouddha a d’abord parlé de vacuité. La raison principale est de nous permettre de nous débarrasser de l’attachement ; il nous faut donc d’abord reconnaître comment nous nous attachons aux choses. Puis nous pouvons résoudre le problème : une fois débarrassé de l’attachement, nous pourrons voir la vacuité. Ce matin, nous avons parlé du chemin de la vision, qui consiste à voir la vacuité. Dans notre état de confusion, nous prenons le monde pour réel et solide ; à cause de notre compréhension erronée, nous ne faisons pas l’expérience de la nature vide de ce qui apparaît. Voir la vacuité renvoie à un moment où nous ne sommes pas prisonnier des concepts : nous ne voyons rien que nous prenons comme réellement existant.
Ce que dit le soutra est : ne pas voir est la meilleure façon de voir. Ce matin, nous avons insisté sur le fait que la vacuité ne veut pas dire être complètement vide de quelque chose, ce n’est pas une sorte de néant ou d’absence. La vacuité n’est pas ce que nous pensons qu’elle est. Qu’est-ce que ça veut dire? La vacuité ne contient pas ce que nous concevons comme existant. Ce que nous concevons comme existant n’existe pas. Ceci signifie que ce que nous connaissons maintenant, par notre expérience, est fondamentalement erroné. Pourquoi ? Parce que nous pensons fermement que les choses existent vraiment par elles-mêmes. Comme cet attachement est erroné, tout ce que nous voyons est une illusion, le fruit de notre imagination. La vacuité nous dit que ces illusions ne sont pas réelles ; elles sont fausses, et c’est la raison pour laquelle le Bouddha les appelle ‘vides’.
Habituellement, les gens comprennent ‘vide’ comme signifiant une absence, une totale absence d’existence. Mais en fait, ‘vide’ renvoie au fait que ce que nous savons maintenant est une illusion et, donc, n’existe pas. Ceci ne veut cependant pas dire que la chose elle-même n’existe pas. Ce point est très important.
Ceci rappelle ce que Tilopa dit à son disciple Naropa : « Fils, ce ne sont pas les choses qui te lient, mais ton attachement à elles. » Tilopa veut dire que les choses elles-mêmes ne peuvent pas nous emprisonner ; c’est notre propre attachement qui est un obstacle.
Il y a ici un point-clé : la vacuité n’est pas construite sur rien ; quelque chose d’existant est la base de la vacuité. En d’autres termes, c’est parce que les choses existent que vous pouvez dire qu’elles sont vides. En raison de notre attachement et de notre compréhension erronée, nous ne connaissons pas la véritable nature des choses. Si toutes les choses extérieures n’existaient pas, alors nous ne pourrions pas parler de vacuité. Si rien n’existait, rien ne pourrait être vide et nous ne pourrions absolument pas parler de vacuité. C’est à cause de l’existence qu’il y a vacuité, et non à cause de la non-existence.
Dans son texte Introduction à la Voie du milieu, Chandrakirti écrit que la connaissance d’un être ordinaire est basée sur une compréhension erronée. Comment savoir que notre connaissance est erronée ? Chandrakirti poursuit que, si ce que nous voyons se manifester est la vérité telle quelle, alors nous serions tous des êtres nobles et connaitrions la véritable nature des choses. Mais ce n’est pas le cas : ce que nous, êtres ordinaires, voyons apparaître est une illusion ; nous ne voyons pas la vérité des phénomènes. En bref, ce que nous voyons est erroné, et ce que voient les êtres nobles est exact.
Dans la vie, nous subissons souvent des revers ou des pressions ; les enseignements bouddhistes, tout comme les psychologues contemporains, disent que le stress vient principalement d’une mauvaise compréhension des choses. Il peut aussi être dû au fait que nous pensons trop. En bref, c’est notre confusion fondamentale qui est la source de notre souffrance et de nos problèmes.
L’explication ci-dessus montre que ce que nous savons est subjectif et ne correspond pas au véritable mode d’être des choses. Ainsi nous constatons que notre méthode de connaissance est fondamentalement défectueuse ; dit autrement, elle est nulle !
Il existe différentes formes d’attachement. La pratique de la vacuité vise à dissoudre notre attachement fondamental, l’ignorance ou la confusion. À quoi pensez-vous quand vous entendez le mot ‘ignorance’ ? Habituellement on pense à un objet.
Le maître Dakpo Kagyu, Gampopa, avait quatre grands disciples qui étaient détenteurs de la lignée et qui ont transmis ses enseignements. L’un d’eux était Phagmodrukpa ; il avait beaucoup voyagé et avait demandé à de nombreux maîtres pourquoi nous étions prisonniers du samsara et quelles étaient les causes de la vie et de la mort. La plupart d’entre eux avaient répondu que la cause en était l’ignorance. Cependant, aucune de ces réponses n’avait inspiré ou touché Phagmodrukpa.
Quand ce futur détenteur de lignée rencontra Gampopa pour la première fois, il était en train de manger de la tsampa (de la farine d’orge grillée). Gampopa montra le tas de tsampa à Phagmodrukpa d’un geste qui voulait dire : « Ma tsampa a plus de valeur que ta réalisation. » Phagmodrukpa demanda au grand enseignant : « Quelles sont les causes qui font que nous tournions dans le samsara ? » Gampopa répondit : « La pensée reste dans le samsara. » Ceci produisit une connexion immédiate en Phagmodrukpa et il ressentit de l’inspiration. Auparavant, il avait beaucoup entendu parler de l’ignorance et de l’attachement, mais il n’avait pas réussi à voir comment notre esprit pouvait se connecter à l’ignorance. Il pensait que l’ignorance était l’ignorance, et que l’esprit était l’esprit.
Il existe trois sortes d’attachement : à la chose elle-même, aux causes et aux résultats. Ce sont ces trois sortes d’attachement qui nous conduisent à ce qui est bon ou mauvais, à l’origine de la souffrance ou à sa cessation, à rechercher la proximité ou la distance avec quelqu’un ou avec quelque chose. Toutes les perturbations en découlent. De toute évidence, il nous faut nous défaire de ces trois formes d’attachement, et si nous parvenons à éliminer leur racine, alors elles disparaîtront.
C’est dans ce but que le Bouddha a enseigné les trois portes de la libération ou les trois accès : la vacuité, l’absence de signes et le fait d’être sans souhaits. Le premier accès – la vacuité – dissout l’attachement à la cause ou l’origine des choses ; le deuxième accès – l’absence de signes – élimine l’attachement aux choses elles-mêmes ; et le troisième accès– être sans souhaits – élimine l’attachement au résultat ou au fruit. La troisième porte a trait à toutes nos pensées et projets pour le futur. Dans le bouddhisme, le mot ‘souhait’ est compris comme signifiant ‘espoir’ ou ‘attente’ ; ainsi, le fait d’être sans souhaits est une façon d’éliminer l’attachement à un résultat futur.
Après les skandhas, le soutra mentionne à nouveau la vacuité :
… tous les phénomènes sont vides, sans caractéristiques, sans origine, sans cessation, sans souillures, sans absence de souillures, sans décroissance ni croissance.
Le premier accès est ici la vacuité, qui est en lien avec l’attachement à la cause. Le deuxième est lié au fait d’être « sans caractéristiques, sans origine, sans cessation, sans souillures, sans absence de souillures », et ceci fonctionne avec l’attachement à la chose elle-même. Le troisième accès – être sans souhaits – est lié à l’expression « sans décroissance ni croissance », et ceci fonctionne avec l’attachement au futur.
Tout attachement est compris dans ces trois sortes ; si nous pouvons les dissoudre, nous verrons la vacuité. Cette partie du soutra nous enseigne donc comment parvenir à voir la vacuité.
Cette même partie du texte peut être examinée sous l’angle des huit significations profondes : « (1) la vacuité, (2) sans caractéristiques, (3) sans origine, (4) sans cessation, (5) sans souillures, (6) sans absence de souillures, (7) sans décroissance, (8) ni croissance. »
Le premier point -la vacuité- montre la vraie nature des choses, qui est différente de ce que nous pensons qu’elle est. On prend (2) sans caractéristiques, comme le résultat ; (3) sans origine et (4) sans cessation, fonctionnent comme les causes. Habituellement, nous pensons aux choses comme réelles et, en outre, que ces choses réelles ont une origine et une fin ; ces deux points visent à se défaire de cette confusion. Une autre forme d’attachement nous amène à classer les choses : ce qui est pur et ce qui cause les perturbations, ce qui est pollué et ce qui ne l’est pas, ce qui est bien ou mal, etc. Les points (5) sans souillures et (6) sans absence de souillures, éliminent cette compréhension erronée. Les points (7) sans décroissance et (8) ni croissance pallient à l’attachement aux résultats. Nous faisons généralement erreur quant au résultat ; nous espérons qu’il sera meilleur que ce que nous attendons, et (8) sans croissance élimine ceci. Ou peut-être n’avons-nous pas d’attentes ou d’espoirs, mais nous maintenons une sorte d’objectivité rigide, qui est aussi erronée ; ainsi (7) sans décroissance pallie à cela.
Ces huit sens profonds montrent comment éliminer notre attachement erroné envers la moindre petite chose. La vacuité est la clé puisque nous prenons pour existant ce qui ne l’est pas. Les êtres ordinaires qui veulent se défaire de l’attachement doivent commencer à sa base. Les huit sens profonds sont une sorte de psychologie inversée qui montre ce qu’il en est par la négation et nous amène à reconnaître la vacuité.
La plupart des gens pensent que la vacuité est difficile à comprendre, mais comparée à la bodhicitta, la vacuité est bien plus facile. La vacuité peut apparaître profonde et difficile, mais la logique de la vacuité est toujours la même. La difficulté vient du décalage qu’il y a entre ce que nous pensons et ce qu’est la vacuité ; il nous faut donc changer notre façon de penser : le soutra nous propose de multiples façons de comprendre la vacuité et de faire bouger notre esprit. Une fois que nous avons une certaine reconnaissance de la vacuité, elle va se stabiliser car la vacuité ne change jamais. C’est une vérité.
La bodhicitta est beaucoup plus difficile à comprendre car elle est tournée vers tous les êtres ; nous devons tenir compte de tous, et chacun a ses propres qualités et ses différences. Les causes et les conditions qui les lient à nous sont compliquées ; certains sont gentils envers nous, d’autres non. Les laïques et les personnes ordonnées peuvent le comprendre.
Dans un aparté, le Karmapa remarque qu’un commentaire précise que pour recevoir l’ordination, on doit quitter sa maison ; et les maisons à quitter peuvent être grandes ou petites. Quitter sa maison est un renoncement mineur. Cependant, si vous renoncez à la célébrité, la fortune et toutes ces choses du samsara -quand vous ne les aimez plus-, c’est renoncer à une vaste maison, c’est le vrai renoncement majeur.
Pour revenir au sujet de la bodhicitta, Sa Sainteté dit qu’il est difficile d’éprouver de la compassion pour tous les êtres vivants. La plupart du temps, nous pensons qu’un petit souhait d’aider les autres, c’est cela la bodhicitta ; mais la bodhicitta n’est pas si facile à réaliser. C’est la première raison pour laquelle la bodhicitta est plus difficile que la vacuité. La deuxième raison est que l’on comprend la vacuité grâce à la logique, alors que la bodhicitta est une pratique qui travaille avec les émotions. L’analyse logique peut se faire de manière directe et ouverte : ce qui est juste est juste, et ce qui est faux est faux. Quand il s’agit des émotions, beaucoup de facteurs les font bouger ; et c’est aussi très compliqué de dire ce qui est juste et ce qui est faux sur le plan émotionnel.
On a souvent l’idée que la bodhicitta est plus facile ; il nous suffit de recevoir les vœux de bodhisattva. Par contre, la compréhension de la vacuité est très difficile et il nous faut attendre de recevoir les bénédictions du lama. Mais ce n’est pas comme ça. Faire naître en nous la vraie bodhicitta demande de beaucoup pratiquer, et nous devons accumuler énormément de mérite. Bien sûr, c’est aussi le cas pour comprendre la vacuité ; mais la quantité de mérite nécessaire pour éveiller la bodhicitta est 10 fois voire 100 fois supérieure à celle nécessaire pour la compréhension de la vacuité. Nous avons aussi besoin d’une pratique et d’un entrainement approfondis, comparables à ceux d’un escadron spécialisé qui devrait s’occuper, non d’un pays ordinaire, mais de toute la galaxie. Vous devez veiller sur tous les êtres, penser constamment aux autres et vous mettre à leur place.
Nous pouvons résumer cette discussion en faisant référence aux maîtres du passé qui ont dit que la compréhension profonde de la vérité de tous les phénomènes a deux aspects : la profonde vacuité et la bodhicitta vaste.
Le Karmapa revient au soutra et à ces lignes :
« Ainsi, Sharipoutra, dans la vacuité il n’est pas de formes, pas de sensations, pas de perceptions ; pas de volitions, pas de consciences ; il n’est pas d’œil, pas d’oreille, pas de nez, pas de langue, pas de corps, pas de mental ; il n’est pas de formes, pas de sons, pas d’odeurs, pas de saveurs, pas d’objets tangibles, pas de phénomènes ; il n’est pas de dhatu de l’œil, pas de dhatu du mental, jusque pas de dhatu de la conscience mentale. Il n’est pas d’ignorance, pas de cessation de l’ignorance, jusqu’à pas de vieillesse et de mort, ni cessation de la vieillesse et de la mort.
De même, il n’est pas de souffrance, pas d’origine de la souffrance, pas de cessation, pas de chemin ; il n’est pas de conscience primordiale, pas d’obtention ni de non-obtention.
Ainsi, Sharipoutra, puisque, pour les bodhisattvas, il n’est rien à obtenir, ils s’en remettent à la profonde Perfection de Connaissance et demeurent en elle : l’esprit sans voiles, ils sont sans peur ; … »
Pour éliminer notre compréhension erronée de la vacuité, Avalokiteshvara cite un certain nombre de choses que nous risquons de ne pas comprendre correctement, ne voyant pas qu’elles sont vides. Il commence par les cinq agrégats, qui nous sont très proches puisqu’ils sont liés à notre corps et à notre esprit. Ils sont la base sur laquelle Avalokiteshvara se fonde pour nous dire que d’autres choses aussi sont vides ; le Soutra du Cœur les classe en six groupes : (1) les cinq agrégats, (2) les 12 bases des sens, (3) les 18 éléments ou dhatus, (4) les 12 liens ou facteurs interdépendants, (5) les quatre Nobles Vérités, et (6) le mérite de la pratique. Tous ceux-ci peuvent à leur tour être divisés en : la base ordinaire ou élémentaire (les trois premiers), et la base spéciale (les trois derniers).
Puis le Karmapa lit de « Ainsi, Sharipoutra, … » jusqu’à « ni dhatu du mental », et il s’arrête pour raconter une histoire.
En Chine, dit-il, de nombreux pratiquants du mahayana connaissent le Soutra du Cœur et, dans le Tibet d’autrefois, toute la sangha ordonnée connaissait le Soutra du Cœur. Dans les premiers temps du bouddhisme au Tibet, tous les jours après le repas de midi, les moines et les nonnes récitaient le Soutra de la Prajna paramita en 8000 versets pour le bien de leurs bienfaiteurs. Les Tibétains font vraiment de gros efforts. Puis un grand maître est venu d’Inde et a déclaré que c’était trop et trop dur, pas seulement pour eux-mêmes mais aussi pour le soutra, dont les feuilles s’usaient à force d’être tournées. Il vaudrait donc mieux qu’ils chantent l’essence du texte, le Soutra du Cœur. Au Tibet, on avait aussi la coutume d’apprendre par cœur le Soutra de la Prajna paramita en 10 000 versets.
Le Karmapa ajoute qu’une fois, quelqu’un écoutait la récitation des Soutras de la Prajna paramita et en entendant « pas d’yeux, pas d’oreilles, pas de nez, pas de langue », il a dit « Pourquoi ne disent-ils pas simplement ‘pas de tête’ ? » (Rires)
Revenant à la citation précédente, le Karmapa explique que les cinq premiers sont les skandhas, les six suivants sont les bases internes des sens (ayatanas) ou les facultés sensorielles, puis les six bases externes des sens ou leurs objets. En ajoutant les six consciences, nous obtenons les 18 dhatus ou éléments, avec lesquels les êtres ordinaires recherchent les divers objets sensoriels. La conscience vient en contact avec ces objets et crée une condition favorable à l’apparition de l’attachement.
Nous voyons donc que les cinq skandhas et les 18 dhatus couvrent tous les objets matériels, ainsi que notre esprit. Ce sont différentes façons de les classer et de les analyser. Le soutra propose des sujets complexes car les gens ont des capacités et des niveaux de compréhension différents. Certains peuvent écouter une discussion sur les cinq skandhas et voir le lien entre l’esprit et les objets matériels, les objets extérieurs. Pour d’autres cependant, ça ne suffit pas ; ils veulent des explications supplémentaires et davantage de détails, tels que les 18 dhatus.
Dans son Trésor de l’Abhidharma, Vasubhandou écrit que les êtres ont des capacités différentes pour comprendre la relation entre l’esprit et les objets extérieurs, et toutes ces catégories sont une façon de les aider. Les cinq skandhas, les 12 bases des sens et les 18 dhatus, tous sont en rapport avec nous, êtres ordinaires, que nous pratiquions ou non. Les trois premiers font partie du samsara et des choses auxquelles nous nous attachons. Demain matin, nous verrons les fondements spéciaux en commençant par les 12 facteurs interdépendants.