17 août 2016 - Hyatt Regency, Gurgaon, Inde
Sa Sainteté commence la 4e session de son commentaire sur le Soutra du Cœur en rappelant les thèmes abordés lors des sessions précédentes ; puis il reprend son commentaire sur la 5e section, la question : Fils de noble famille, comment doit s’exercer un fils ou une fille de noble famille qui désire pratiquer la profonde Connaissance transcendante ?
Avec grande habileté, le Karmapa explique que ce qui semble être une seule question englobe en fait tous les aspects de la pratique du mahayana, depuis le début du chemin jusqu’à l’obtention de l’état de bouddha. Sharipoutra semble demander comment devrait s’exercer quelqu’un qui veut pratiquer avec diligence ; mais, en fait, sa question en inclut cinq.
Quelle attitude faut-il avoir pour cultiver ou se familiariser avec la prajna paramita (la Perfection de Connaissance) ?
Quel type de conduite doit-on adopter ou quel type d’actes doit-on faire pour cultiver ou se familiariser avec la prajna paramita ?
Quel type de réalisation directe doit-on atteindre pour cultiver ou se familiariser avec la prajna paramita ?
Quelle méthode doit-on pratiquer ?
Quelles sont les réalisations nécessaires pour cultiver et se familiariser avec la prajna paramita ?
Ces cinq questions correspondent aux cinq chemins ; en fait, Sharipoutra demande comment doit pratiquer un bodhisattva sur les chemins de l’accumulation, de la jonction, de la vision, de la familiarisation, et du non-apprentissage.
La Prière à la lignée de Vajradhara exprime le souhait : « Au cours de toutes mes vies, puissé-je ne jamais être séparé du parfait lama. Ayant parachevé les qualités des terres et des chemins, puissé-je rapidement atteindre l’état de Vajradhara. » Les chemins sont les cinq chemins et les terres, les dix bhumis (ou niveaux) des bodhisattvas qui ont directement réalisé la vacuité. Sa Sainteté précise que ce qui différencie les cinq chemins et les dix niveaux est leur portée. La première catégorie est plus large et inclut les bodhisattvas ordinaires, alors que les dix bhumis - étant basés sur la réalisation de la vacuité - sont limités à ceux qui ont réalisé la vacuité.
Les cinq chemins sont graduels ; on les suit depuis le tout début jusqu’à l’obtention de l’état de bouddha. De plus, chaque chemin comporte différentes étapes : le chemin de l’accumulation a trois étapes (inférieure, moyenne et supérieure), le chemin de la jonction en a quatre (chaleur, sommet, patience, et pratique supérieure), le chemin de la vision en a 16, et le chemin de la familiarisation consiste, en fait, en les dix bhumis.
La réponse d’Avalokiteshvara constitue la 6e section du soutra. Quand Avalokiteshvara répond à la question de Sharipoutra, ce sont en réalité onze réponses différentes qui correspondent aux capacités diverses de l’auditoire.
Bien que l’auditoire qui écoute le Soutra du Cœur soit composé de gens dotés de facultés mentales supérieures, Sa Sainteté explique qu’ils ont cependant des capacités différentes ; ainsi la réponse est donnée en deux parties. La première partie est à l’intention de ceux de moindre capacité, et la seconde partie à l’intention de ceux de capacité supérieure. La seconde partie inclut le mantra secret lui-même, qui contient tous les points-clés et s’adresse à ceux du niveau le plus élevé qui sont capables de tout comprendre directement, en peu de mots.
La réponse d’Avalokiteshvara correspond aux cinq questions sous-jacentes. Les deux premières des cinq questions sur l’attitude et la conduite ont une seule réponse :
… N’importe que fils ou fille de noble famille qui souhaite pratiquer la profonde Perfection de Connaissance doit voir ainsi :
Pour le dire simplement, explique Sa Sainteté, ceci fait référence à tous ceux qui ont le droit d’écouter les enseignements de la Prajna paramita et qui veulent pratiquer. ‘Voir ainsi’ signifie utiliser quatre types de méditation pour examiner de près tous les phénomènes.
La 3e question porte sur la réalisation directe nécessaire pour cultiver la connaissance transcendante ; la réponse est en cinq parties, qui sont liées aux cinq sections du texte de la manière suivante :
(1) « Ils doivent voir correctement que les cinq agrégats sont vides par nature. Les formes sont vides ; le vide est forme. »
(2) «Hors les formes, il n’est point de vacuité ; hors la vacuité, il n’est point de formes. »
(3) « Ainsi, tous les phénomènes sont vacuité, sans caractéristique, sans origine, sans cessation, sans souillures ni libres de souillures, sans décroissance ni croissance. »
(4) « Ainsi, en la vacuité il n’y a pas de formes, pas de sensations, pas de perceptions, pas de volitions et pas de conscience ; il n’y a pas d’œil, pas d’oreille, pas de nez, pas de langue, pas de corps, pas de mental ; il n’y pas de formes, pas de sons, pas d’odeurs, pas de saveurs, pas d’objets du toucher, pas de dharma (phénomènes). Il n’y a ni dhatu de l’œil, ni dhatu du mental, jusqu’à ni dhatu de la conscience. Il n’y a pas d’ignorance, pas de cessation de l’ignorance, jusqu’à pas de vieillesse et pas de mort, ni cessation de la vieillesse et de la mort. »
(5) « De même, il n’y a pas de souffrance, pas d’origine, pas de cessation, pas de chemin … »
La 4e question - sur la méthode à pratiquer - a une réponse en deux parties :
(1) « Puisque les bodhisattvas n’ont rien à obtenir, ils s’en remettent à la Perfection de Connaissance et demeurent en celle-ci. »
(2) « Puisque leur esprit est libre de voiles, ils sont sans peur ; parvenus au-delà de toute erreur, ils atteignent la perfection du nirvana. »
La dernière question, sur les réalisations nécessaires, a une réponse en trois parties :
(1) « C’est en s’en remettant à la Perfection de Connaissance que tous les bouddhas des trois temps atteignent l’insurpassable et complet éveil parfait du Bouddha. »
(2) « Insurpassable. »
(3) « Parfait. »
Le Karmapa rappelle l’importance de la méditation de shamata (le calme mental) pour avancer sur le chemin ; il donne les détails des quatre étapes, telles qu’elles sont définies dans le Soutra de l’explication des profonds secrets. Ces étapes doivent être pratiquées l’une après l’autre.
La première étape, qui s’appelle ‘réflexion avec concept’, fait partie du chemin de l’accumulation et s’adresse aux débutants. Les débutants ont besoin d’intégrer, d’écouter et de contempler la pensée du mahayana, ainsi que d’examiner, d’analyser et de bien voir les différentes distinctions et la logique. Ce processus demande une faculté d’analyse ; c’est pourquoi on l’appelle ‘discriminant’.
La 2e étape, appelée ‘réflexion sans concept’, fait partie du chemin de l’union. Le pratiquant pratique maintenant la concentration méditative sans analyse ; aussi est-elle connue comme ‘non-discriminante’.
Dans la 3e étape, grâce à la concentration méditative et une analyse efficace, le pratiquant peut faire directement l’expérience de la vacuité. À ce stade, la concentration méditative du pratiquant est l’union de shamatha et vipashyana (vision supérieure) ; on l’appelle le chemin de la vision car le pratiquant voit la vacuité directement pour la 1e fois, et devient ainsi un être noble. Par la suite, la sagesse obtenue grâce à la vision de la vacuité se maintient sur le chemin de la familiarisation.
Ce stade de la méditation s’appelle ‘l’objet de l’extrême des choses’, parce que sur le chemin de la vision et sur le chemin de la familiarisation, le méditant est capable de voir la véritable nature de toute chose, la vacuité (‘l’extrême’) de tous les phénomènes (‘objets’).
Avec une pratique assidue, le méditant atteint le point ultime, l’état de bouddha, et sa concentration méditative réalise la perfection ultime. Comme tout ce qui doit être fait a maintenant été accompli, cette étape finale de la méditation est connue sous le nom de ‘l’objet de l’accomplissement de toute chose’.
« Cependant, plaisante Sa Sainteté, ceci ne signifie pas que vous pouvez partir à la retraite. Il y a un dicton qui dit :’Notre samsara est petit, mais le samsara du Bouddha est très grand … le Bouddha ne peut jamais quitter le samsara car il est dans le samsara pour être bénéfique aux êtres. Le samsara, c’est son bureau’. »
Puis Sa Sainteté résume les cinq chemins qui mènent à l’état de bouddha.
Dès le début, l’écoute et la contemplation sont d’une importance capitale car il faut stabiliser notre compréhension et notre connaissance des enseignements du mahayana. C’est le chemin de l’accumulation. Il nous faut ensuite cultiver graduellement la concentration, de façon à approfondir l’analyse et l’examen de ce que nous avons entendu et contemplé. Puis, par la pratique véritable, nous développons une compréhension et une expérience profondes. C’est le chemin de la jonction, qui précède le chemin de la vision.
Une fois que le pratiquant a une réalisation directe de la vacuité qui est stable, il est arrivé au chemin de la vision ; puis il continue vers le chemin de la familiarisation, jusqu’à ce qu’il atteigne le chemin du non-apprentissage.
« Dans le bouddhisme, la théorie et la pratique ne devraient pas être séparées. Nous devons d’abord écouter et contempler, puis mettre en pratique ce que nous avons appris, » le Karmapa insiste. « La pratique approfondit notre compréhension de ce que nous avons appris. La sagesse issue de l’écoute est la reconnaissance de la nature des perturbations. La sagesse issue de la contemplation nous permet de savoir comment gérer ces perturbations ; et la sagesse issue de la pratique est de savoir comment gérer encore mieux les perturbations. »
Revenant au début de la réponse d’Avalokiteshvara, Sa Sainteté examine le sens de la première partie de sa réponse : « Ils devraient voir parfaitement que les cinq agrégats sont vides par nature. » Les cinq agrégats sont la base même de notre attachement au sentiment de ‘je’.
Dans la 2e partie de la première réponse, le texte dit : « Les formes sont vides ; le vide est forme. » Les formes viennent en premier car elles sont ce qui contient les quatre autres agrégats. Reconnaître le vide des formes élimine le conteneur des formes, et tout ce qui est dedans se disperse, explique le Karmapa.
Le texte continue avec le vide des sensations, des perceptions et des volitions. La référence au vide des sensations vise les laïques, pour qui le plaisir est roi. Le vide des perceptions vise les personnes ordonnées qui, se basant sur les différentes écoles de pensée, proclament la supériorité de leur propre école. Les sensations et les perceptions sont deux des 51 facteurs mentaux. Ils ont été choisis car ils sont à la racine du problème. Les 49 autres facteurs appartiennent aux volitions et le 5e skandha (ou agrégat) est la conscience.
La 2e partie de la première réponse dit : « Les formes sont vides ; le vide est forme. » Ces deux affirmations servent des garde-fous pour nous éviter de tomber dans l’un des deux extrêmes du samsara et du nirvana. Puisque les êtres sensibles désirent les plaisirs des formes, ils tombent dans le samsara. Pour les empêcher de tomber dans le samsara, ils doivent être libres d’attachement aux plaisirs des formes. Cependant, quelqu’un qui désirerait le vide au lieu des formes tomberait dans l’autre extrême du nirvana. Une analogie serait celle d’un aveugle marchant sur un étroit sentier avec, d’un côté, un lieu interdit, et de l’autre un précipice. Si quelqu’un lui lance l’avertissement : « Attention à gauche! », alors il tourne à droite et tombe du côté droit ; la même chose est valable pour l’autre côté. Le seul chemin sûr est de rester au milieu.
« Les formes sont vides ; le vide est forme. Hors les formes, il n’est point de vacuité, hors la vacuité, il n’est point de formes » : ces lignes expliquent l’objet de la méditation pour ceux qui sont sur le chemin de la jonction. Dire « les formes sont vides » ne signifie pas que les formes n’existent pas, mais plutôt que les formes et tous les phénomènes n’existent pas de la manière dont nous en faisons l’expérience.
Sa Sainteté commente : « C’est précisément parce que les phénomènes n’existent pas de la manière dont on en fait l’expérience, qu’ils ont la capacité de se manifester. Ils se manifestent en raison de l’interdépendance. De ce point de vue, on les appelle ‘forme’. Quelle que soient les formes que nous voyons, elles sont elles-mêmes vacuité. Autre que cela, il n’y a pas d’autre vacuité car la nature des formes est vacuité ; les regardant du point de vue de leur nature, elles n’ont jamais existé. Donc, en fait, elles n’existent pas mais semblent exister. »
Pour expliquer cette situation, Sa Sainteté utilise l’analogie de la lune qui se reflète dans l’eau : l’eau peut clairement refléter la lune, mais l’eau elle-même n’a jamais contenu la lune. L’image de la lune apparaît clairement à la surface de l’eau, pourtant elle n’est pas vraiment là. De même, en rêves, nous voyons clairement les objets, mais, eux non plus, ne sont pas vraiment existants.
Beaucoup de gens comprennent ‘vide’ comme signifiant ‘non-existant’, mais ce n’est pas le cas. Dans ce contexte, le mot ‘vide’ a un sens particulier et unique, ce qui rend sa compréhension difficile.
Sa Sainteté conclut en précisant qu’il continuera l’explication de la vacuité dans la session de l’après-midi.