29ème Kagyu Monlam – Des grandes tormas apportent beauté et profondeur
8 mars 2012
Pour les préparations du Monlam, 65 nonnes et moines venus des monastères Kagyu, s’étaient réunis en décembre pendant 22 jours, à l’Institut Vajra Vidya de Thrangu Rinpoché à Sarnath. Ils avaient consacré ce temps à l’étude intensive de l’art de la fabrication des tormas – les grandes images sculptées qui, d’années en années, décorent la salle principale du temple. A Vajra Vidya, les cours commençaient à 8h du matin et se poursuivaient jusqu’à 18h le soir, certains étudiants travaillaient même jusque tard dans la nuit. Des maîtres émérites étaient venus, ainsi qu’un sculpteur du Bhoutan, ils ont donné aux élèves les mesures exactes – la courbe des épaules, l’angle d’une jambe tendue, la forme des doigts pour les mudras. Les peintres de thangka utilisent aussi des diagrammes géométriques pour leur travaux, mais la création des tormas est plus difficile car tri-dimensionnelle.
Des étudiants utilisaient le modèle du professeur et tentaient de le copier, sans se servir de couleurs, jusqu’à ce que la forme à reproduire soit parfaite. Les novices essayaient de réaliser les fleurs décorées et les différentes offrandes, pendant que les plus avancés créaient les figures centrales des tormas. Dans chaque groupe, l’attention pour les détails était impressionnante – les ombres subtiles des fines pétales allant de l’ivoire au bleu profond pour le centre de la fleur, la courbe douce d’un pied dans la posture du lotus, le drapé des vêtements, l’arc du sourcil suggérant l’esprit qui analyse.
A Bodhgaya, les créateurs de tormas travaillaient dans deux grandes pièces du monastère bhoutanais. L’une était destinée aux décorations, et l’autre aux représentations les plus complexes. Les artistes étaient assis le long des murs, leur œuvre sur une table en face d’eux. La concentration méditative était palpable pendant qu’ils donnaient forme à la mixture ( huile de palme, cire et céréales) en partant de la base ronde. Plus tard, lorsque les derniers détails auraient été vérifiés, toutes les différentes parties – la représentation centrale et les figures annexes, les offrandes, les feuilles, les fruits, les fleurs – seraient attachées à un morceau de bois sculpté de 1m83, et l’ensemble prendrait vie. Dans la soirée du 28 février, lorsque les routes de Bodhgaya furent presque vides, les tormas ont été transportées avec précaution au monastère de Tergar, sur des charrettes à bras et placée en une ligne impressionnante sur l’autel du chapiteau du Monlam.
Gyalwang Karmapa a inspiré et fait renaître cette tradition des tormas, elle est devenue une expression d’art subtile et raffinée. Il choisit les figures chaque année, les inspecte avec soin lorsqu’elles sont réalisées, et crée de nouveau gabarit. Il leur a donné le nom de rgyan gtor, qui veut dire torma décorée, pour mettre en relief leurs nombreuses formes et couleurs. La structure de la torma rappelle le champ d’accumulation de mérites, (tshogs zhing) connu sous le nom d’arbre du refuge, qui représente les Trois Joyaux, les Trois Racines, et la lignée des lamas. La couleur verte du dos de la torma rappelle également l’arbre.
Karmapa voit les torma en 5 parties. Le sommet représente le déploiement des joyaux étincelants qui, sous leur ombrelle dorée, apporte tout ce qui est nécessaire ou désiré, il est toujours reproduit. Juste en-dessous, la 2ème partie est celle des bouddhas, des divinités de longue vie, ou des détenteurs des enseignements, dont les représentations changent tous les ans. Cette année, les quatre premières tormas sont les quatre tathagatas, qui apportent leurs bénédictions pendant les offrandes de fumées et sont importants pour les rituels destinés à éloigner les obstacles. Le 2ème groupe de quatre tormas représente les grands maîtres indiens qui furent à la source de l’introduction du Dharma au Tibet – Tilopa, Maitripa, Naropa et Nagarjuna.
La troisième partie est constituée de nuages entourés de fleurs et assure la transition avec la quatrième partie, la partie centrale de la torma. Celle-ci représente le thème de l’année. Il y en avait deux pour 2012.
Les quatre premières tormas représentaient les quatre grandes célébrations (dus chen) du calendrier bouddhiste tibétain – les miracles accomplis par le Bouddha, pour la nouvelle lune du 1er mois ; son éveil, qui coïncide avec l’anniversaire de sa naissance et de son paranirvana, pour le jour de la pleine lune du 4ème mois ; son enseignement du Dharma, pour le 6ème jour du 6ème mois ; et sa descente de Tushita le 22ème jour du 9ème mois. La figure centrale est souvent entourée par des disciples ou des personnages en rapport avec elle. Cette année, de chaque côté du Bouddha, se trouvent les 8 grands sravakas ( ou auditeurs) les 8 disciples les plus proches du Bouddha. Sur des éclatantes offrandes de fruits et de fleurs, ils sont assis en lotus sur des coussins multicolores.
Au centre des quatre tormas suivantes, sont représentés les maîtres fondateurs des quatre écoles du bouddhisme tibétain, ( sujet identique à celui des quatre thangkas qui étaient alignées derrière le trône de Sa Sainteté dans le temple de Tergar) Encore et encore c’est le rappel de l’essence unique des enseignements du Bouddha. Les tormas représentent donc Padmasambhava ( Nyingma), Marpa Lotsawa ( Kagyu), Kunga Nyingpo ( Sakya), et Je Tsongkhapa ( Gelukpa).
Directement sous les figures centrales, un ensemble de vastes offrandes rassemble toutes les catégories traditionnelles – les 8 symboles de bon augure, les 7 symboles de la royauté, les 8 substances de bon augure, les 5 objets des sens, les objets nécessaires des moines ou simplement une belle torma ou des fruits. Ceci a pour but de nous permettre de multiplier les offrandes mentalement dès que notre regard se porte sur un Bouddha, une divinité ou un grand maître.
La base de la torma, ou cinquième partie, prend la forme des offrandes traditionnelles de nourriture et les images que l’on trouve ici sont souvent celles des protecteurs ou des déesses d’offrandes. Cette année, les tormas des bouddhas avaient à leur base les quatre rois gardiens des portes, ils résident dans les quatre directions, et promirent au Bouddha de protéger les enseignements en tous lieux. Sous les quatre autres tormas, étaient les quatre reines des quatre saisons, leur couleur correspondant à leur activité respective – pacification, développement, pouvoir et coercition. Tous ces 8 éléments symbolisent notre monde conventionnel : espace, les 4 directions ; temps, les 4 saisons ; féminin et masculin, les reines et les rois. Ce monde relatif est également la base à partir de laquelle nous réalisons les vérités profondes représentées par les figures des niveaux supérieurs des tormas.
En symbolisant l’immensité et la profondeur des enseignements, la torma créé un arrière plan propice aux pratiques et aux événements qui se déroulent pendant le Monlam, et laisse une empreinte qui touche notre esprit et notre cœur plus fortement que ne pourraient le faire les mots.