Enseignements du Gyalwang Karmapa sur la compassion à Delhi
Le 19 Février 2010, India Habitat Center, Delhi
Sa Sainteté le Karmapa a commencé une série de deux jours d’enseignements à Delhi sur l’invitation de la « Foundation Pour la Responsabilité Universelle », une fondation à but non lucratif fondée par Sa Sainteté le Dalai Lama qui a reçu le prix Nobel de la paix en 1989. Le Karmapa a donné des enseignements sur le thème « Cultiver la Compassion ». Comme la conférence était destinée à une audience générale incluant des bouddhistes et des personnes intéressées par le Bouddhisme, le Karmapa a présenté des moyens pratiques pour développer une plus grande compassion, un sujet philosophique fondamental des enseignements bouddhistes en relation avec l’interdépendance. Quatre sessions ont eu lieu, le matin et l’après-midi avec un temps de questions et de réponses à la fin de chaque enseignement. La première session a débuté avec un accueil chaleureux de Rajiv Mehrotra, réalisateur de film ayant reçu un Prix Nobel, qui supervise la fondation à la demande du Dalai Lama.
Tout d’abord le Karmapa a commencé son enseignement en soulignant que la compassion est le cœur de la pratique de toutes les traditions Bouddhistes et qu’elle est désignée comme être « l’essence du Bouddha Dharma ». Il a ensuite expliqué la distinction entre la compassion portée vers l’extérieur et celle tournée vers l’intérieur. Lorsque nous regardons à l’extérieur et observons la souffrance des êtres sensibles et souhaitons la cessation de leur souffrance, c’est ce que l’on appelle en général la compassion. Quand nous regardons à l’intérieur de nous même et observons notre propre souffrance, et souhaitons qu’elle disparaisse, cela est la renonciation. Ces deux formes de compassion se distinguent principalement avec l’objet vers lequel elles se focalisent. Les différents véhicules Bouddhistes peuvent mettre l’accent sur l’une des deux formes de compassion, toutefois, le Karmapa a souligné que ces deux types de compassion ont pour souhait fondamental d’éliminer toute souffrance, que ce soit la nôtre ou celle d’autrui.
Tout en continuant à clarifier la relation entre le fait d’œuvrer pour nous-mêmes et d’œuvrer pour les autres, le Karmapa a expliqué que les scripturaires évoquent trois types de bodhisattvas : ceux du niveau supérieur, capables d’accomplir à la fois leur propre but ainsi que celui des autres, ceux de niveau médian qui accomplissent le but d’autrui et ceux du niveau inférieur qui réalisent leur propre dessein.
Bien que l’idée que des bodhisattvas œuvrent pour poursuivre leurs propres aspirations peut sembler contre-intuitif, Sa Sainteté a expliqué que si l’on ne dompte pas son propre esprit, il est impensable de s’attendre à ce que nous soyons en mesure d’aider les autres. Cela ne signifie pas que les bodhisattvas abandonnent l’idée de travailler pour autrui, loin de là. Cependant, il y a des bodhisattvas- comparables à des novices comme nous sur la voie - se rendent compte qu’ils ne sont pas encore capables d’aider les autres, mais génèrent toutefois une grande aspiration pour pouvoir l’être dans le futur. Sur cette base, ils s’engagent en premier lieu dans les trois entraînements de l’éthique les plus élevés, la concentration ainsi que la sagesse pour pouvoir aider les autres. En ce sens, le Karmapa a exhorté l’audience à cultiver de l’affection pour eux-mêmes, en soulignant que le fait de s’aimer véritablement implique la reconnaissance de ce qui est vraiment bénéfique et ce qui peut causer du mal pour nous-mêmes. A cette fin, nous devons réfléchir sincèrement et utiliser notre intelligence analytique fondamentale.
Par exemple, nous traitons quelqu’un avec mépris en pensant que cela servira nos intérêts personnels, mais long terme nous en pâtirons. Même s’il est possible d’atteindre la libération à travers notre souffrance en développant la sagesse, en particulier celle qui réalise la réalité ultime, cela nous mènera seulement à notre propre libération, a souligné le Karmapa. En tant qu’êtres humains pourvus de principes, il serait impensable de s’échapper seul du cycle des souffrances du samsara et de laisser toutes les autres personnes continuer à souffrir. Tout particulièrement dans les enseignements bouddhistes, il nous est incité à considérer que tous les êtres sensibles ont été nos mères dans nos vies passées et qu’ils nous ont élevé avec tendresse et bienveillance. Il serait ingrat de notre part de chercher la libération de la souffrance que pour nous-mêmes. Toutefois, afin de travailler pour le bien d’autrui nous devons comprendre leur nature, comme leurs capacités et leurs besoins. Le Karmapa a expliqué qu’il faut pour cela être doté d’une grande sagesse et à un niveau ultime d’une vaste omniscience, car les êtres et leur caractère sont considérables. Pour cette raison, par compassion et avec le souhait d’apaiser la souffrance des tous les êtres sensibles, les bodhisattvas ont pour but ultime d’atteindre l’état de la bouddhéité.
Dans le cas du développement de notre compassion, alors que nous sommes aussi submergés d’un océan de souffrances, nous ne pouvons ignorer notre propre condition et vouloir seulement s’occuper des autres. Nous devons plutôt cultiver un sentiment d’affection, développer un amour authentique envers nous-mêmes et prendre soin de soi. Le Karmapa a donné l’exemple de vouloir faire des offrandes. Pour cela, nous devons posséder des richesses pour donner, a t-il dit. En ce sens, si nous souhaitons que le bien-être des autres advienne, il nous incombe de travailler sur notre propre esprit qui est un moyen pour développer une richesse intérieure à leur offrir.
Sa Sainteté le Karmapa a commencé la session de l’après-midi avec un des versets du « Madhyamakavatara », L’Entrée de la Voie du Milieu » de Chandrakirti :
De cette excellente moisson de l’état éveillé,
L’amour est dite en être l’état de la semence, l’eau de la croissance
Et ce qui mûrit dans le havre de durable félicité.
C’est ainsi qu’en premier lieu je m’emploie à célébrer la compassion.
Il a souligné que les graines de la compassion qui mènent la bouddhéité à maturité n’ont nul besoin d’être achetées dans un magasin ou être importées. Elles sont naturellement présentes en nous. Cependant, elles ont besoin d’être plantées et soignées avec attention. En prenant comme exemple sa propre expérience d’enfant lorsque qu’il vivait dans une famille de nomade au Tibet, il parla des émotions intenses qu’il ressentait à la vue des animaux qui se faisait abattre pour leur viande. À cette période, il ne savait même pas ce que le mot compassion signifiait, a-t-il dit. Pourtant, malgré les années d’études des textes bouddhistes et le fait de prononcer simplement des phrases telles que « Puissent tous les êtres aussi vaste que l’espace obtenir le bonheur ! », aucune expérience de compassion ne lui a été comparable qu’à la réponse spontanée des souffrances des animaux qu’il vécut à son jeune âge. Cette anecdote induit que nous avons les graines innées de la compassion en nous. De la même façon, comme un arbre qui a besoin de racines pour s’ancrer dans le sol fermement et d’eau pour se sustenter entièrement, nous avons aussi besoin d’enraciner la compassion au plus profond de notre cœur et devons la laisser se stabiliser afin qu’elle puisse soutenir notre déploiement à venir.
Ainsi, le Karmapa a souligné les choix possibles pour cultiver la compassion. Si nous voulons planter une forêt, a-t-il dit, il ne suffit pas d’attendre et espérer que le vent ramène des graines à un endroit où les conditions sont favorables pour qu’elles puissent pousser. Nous devons plutôt choisir d’agir et de poursuivre cette aspiration avec des actions conséquentes ; nous devons non seulement semer des graines mais aussi les entretenir avec attention, tout en leur donnant de l’eau selon les quantités appropriées au bon moment.
Avec dérision, le Karmapa a noté qu’il avait eu un jour la pensée que si il existait des bombes qui peuvent tuer sur le champ des milliers de personnes au même moment, ce serait une merveille de créer des « bombes de compassion » qui en explosant apaiseraient soudainement les souffrances des gens et les feraient éclater de rire. Aussi merveilleuse que cette idée puisse être, cela est impossible a-t-il dit, car les bombes ordinaires enlèvent nos vies malgré notre volonté, alors que cultiver la compassion n’est pas un acte qui peut être accompli contre notre propre gré. Nous devons intentionnellement avoir le souhait de développer de la compassion. En ce sens, la compassion implique des choix personnels et nous rend libres. A contrario, nos émotions perturbatrices nous éloignent de la liberté et nous gouvernent, mais la compassion nous donne l’opportunité d’être maître de nos vies.
Le reste de la journée, le Karmapa a tourné son attention sur le sujet du développement de la patience ou de la tolérance. Il a souligné qu’être patient ne veut pas dire se mettre dans des situations pénibles ou être contrait à endurer des difficultés. Plutôt que cela, il a expliqué que nous devons nous entraîner activement à observer nos défauts au travers nos émotions telles que la colère. Cette reconnaissance ne doit pas se limiter à les voir comme partiellement défectueux et parfois inappropriés, ou bons à d’autres moments. Nous devons plutôt acquérir une certitude que notre colère comme les autres émotions sont indubitablement des défauts. Avec cette conviction, nous serons alors préparés à nous défendre contre elles.
Le Karmapa a donné l’exemple d’une personne qui a décidée de ne rien faire. Si on lui demande de faire quelque chose, elle peut refuser sans hésitation. De la même manière, si nous avons déjà la conviction qu’il n’y a rien à attendre de positif des émotions négatives, alors cette compréhension nous renforcera plus lorsqu’elles apparaîtront.
Enfin, le Karmapa a conclu les enseignements en mettant l’accent sur le fait de ne pas regarder notre pratique spirituelle comme une corvée ou une pénible tâche, et ne pas nous forcer, nous devons plutôt nous engager dans la pratique avec joie et ardeur.